Savoyard[1], évêque de Genève en exil à Annecy[2], saint François de Sales (1567-1622) rencontre à Dijon en 1604 la jeune veuve Jeanne-Françoise de Chantal et devient son directeur spirituel. En 1610, ils fonderont ensemble à Annecy l’Ordre de la Visitation. La relation entre François de Sales et Jeanne de Chantal est considérée comme la plus belle amitié spirituelle de l’histoire de l’Église.
Évêque infatigable à parcourir et à réformer son diocèse, proche des petits comme des grands, François de Sales a laissé une œuvre abondante, notamment des milliers de lettres, des sermons, les entretiens spirituels qu’il accordait aux visitandines, et enfin deux traités : l’Introduction à la vie dévote (1609) et le Traité de l’amour de Dieu (1616).
L’ouvrage le plus imprimé au monde après la Bible
L’Introduction à la vie dévote est l’ouvrage qui a été le plus imprimé au monde après la Bible (plus de 1000 éditions en toutes langues) entre le XVIIe et le XIXe siècle inclus. La « vie dévote », c’est la plénitude de la vie chrétienne, autant dire la sainteté. Ce traité, écrit à la demande d’Henri IV et adressé à sa cousine Madame de Charmoisy, appelée Philothée dans le livre, est donc le manuel incontournable de celui ou celle qui veut vivre pleinement sa vie chrétienne. Saint François de Sales a ainsi été l’auteur spirituel de référence en Occident pendant trois siècles, sa spiritualité de la voie d’enfance spirituelle ayant ensuite été popularisée par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Le texte présenté ici est le chapitre 39 de la troisième partie de l’Introduction à la vie dévote, partie « contenant plusieurs avis touchant l’exercice des vertus ».
De l’amour possessif à l’amour oblatif
« De la spiritualité conjugale des éléphants » C’est ainsi que François de Sales aurait pu intituler ce chapitre dédié au « lit nuptial ». Les abeilles, très présentes dans l’œuvre salésienne, viennent également illustrer le propos de l’évêque de Genève sur ce sujet délicat. Délicat à tel point que cet auteur éminemment diplomate[3] utilise l’analogie du manger pour conduire le lecteur dans sa progression vers la sainteté au cœur du mariage.
Car c’est bien de cela dont il s’agit : le mariage est clairement désigné comme une vocation et à ce titre il a toute sa place au sein de la vocation universelle à la sainteté[4]. Pour être saint, l’homme, créé à l’image de Dieu, est appelé à sa ressemblance. Or Dieu ne sait que donner, il ne sait pas prendre. C’est le fil rouge de l’acte conjugal : toute notre conversion consiste à passer de l’amour possessif à l’amour oblatif, pour reprendre les termes de Maurice Zundel.
Ce texte est à rapprocher de la fameuse phrase écrite à Jeanne-Françoise de Chantal en octobre 1604 : « Voici la règle générale de notre obéissance écrite en grosses lettres : IL FAUT TOUT FAIRE PAR AMOUR ET RIEN PAR FORCE ; IL FAUT PLUS AIMER L’OBÉISSANCE QUE CRAINDRE LA DÉSOBÉISSANCE. » Et François de Sales de poursuivre : « Je vous laisse l’esprit de liberté… »
Au-delà de la doctrine de l’Église sur le fameux « devoir conjugal », doctrine qui a évolué au fil des siècles et dont la pilule n’est pas toujours facile à avaler – si je puis dire – si on ne la replace pas dans la perspective de la sainteté, ce qu’il faut retenir d’essentiel c’est que chacun a sa vocation, et celle du mariage est aussi belle qu’une autre ; mais comme pour les autres vocations, « tout excès est un défaut » (cf. les points 5 et 6) et « il y a un temps pour tout » (cf. le point 7).
Ce qui est frappant dans ce texte, enfin, c’est la nécessaire réciprocité entre l’homme et la femme (cf. le point 2 et la fin du chapitre), ce qui, quatre siècles plus tard, peine toujours à entrer dans les mœurs. Pourtant, saint Paul le disait déjà à propos du mariage dans ce passage qui sous-tend le propos de l’évêque de Genève, excellent connaisseur de la Bible : « Par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres[5] ».
David LAURENT
Découvrir en exclusivité la traduction inédite et adaptée du chapitre 39 de l’Introduction à la vie dévote :
[1] La Savoie n’a été rattachée à la France qu’en 1860.
[2] Genève étant tombée aux mains des protestants, un catholique y risquait sa vie.
[3] François de Sales sera de fait chargé de plusieurs missions diplomatiques entre les puissants d’Europe occidentale, notamment par le roi de France qui aurait bien aimé l’avoir comme archevêque de Paris.
[4] Pour François de Sales, tous les états de vie et toutes les professions peuvent nous conduire à la sainteté ; en ce sens, on peut dire que c’est un précurseur du Concile Vatican II.
[5] Eph 5, 21.
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