Qu’est-ce la méthode Vittoz ?
Ghislaine Prouvost : C’est une méthode de psychothérapie. Elle soigne le psychisme. Ce n’est donc ni une méthode pour enfants, ni une méthode de relaxation, comme certains le pensent parfois. Le docteur Roger Vittoz disait que si le cerveau, organe qui produit les pensées, ne présente pas de lésion et si les pensées ne sont pas « saines » (par exemple, lorsqu’elles donnent de l’angoisse, qu’elles sont semi-conscientes, qu’elles sont obsessionnelles), c’est que le problème vient du mécanisme de production de la pensée (mécanisme situé entre le cerveau et la pensée). Ainsi, en rééduquant le mécanisme de production des idées, la méthode Vittoz réalise une véritable psychothérapie.
Et concrètement, comment rééduque-t-on le « mécanisme de production des idées » que vous évoquez ?
On va travailler sur la réceptivité, c’est-à-dire sur la façon dont le cerveau reçoit des informations, que celles-ci viennent des sens (l’ouïe, le toucher, l’odorat, la vue, le goût), de la sensation du mouvement ou des sensations internes. En « sentant la sensation », en accueillant ce que nos sens nous font parvenir comme sensations (goûter et savourer la qualité d’un bon café, accueillir la brise légère du vent sur ses joues, s’arrêter sur le volume et les proportions de la pièce dans laquelle on se trouve et prendre conscience de l’ordonnancement des meubles ou des tableaux dans cette pièce, sentir son dos contre le dossier de sa chaise et rester avec cette sensation, etc.), et bien en s’exerçant à cette pleine réceptivité, on a-cueille l’instant présent et on évite les pensées parasites. Autrement dit, la méthode Vittoz permet de rééduquer la production d’idées par ce que le docteur Roger Vittoz appelait le « le contrôle cérébral » : sentir plutôt que penser. C’est une méthode toute simple en elle-même. Mais elle demande en fait de l’exercice.
On travaille également la concentration…
Oui, le patient apprend la capacité d’être entièrement présent ̶ sans tension ! ̶ à un objet donné. La rééducation de la réceptivité et de la concentration va augmenter la qualité de conscience et d’attention de la personne. Avec l’aide du thérapeute, le patient entraîne également le cerveau à mettre à distance des sujets de pensée qui ne sont pas d’actualité et à éliminer ce qui est jugé nocif. La « cure » Vittoz (terme employé par son instigateur) se termine avec un travail sur la volonté. Mais celle-ci est en réalité travaillée dès le début de l’accompagnement thérapeutique.
C’est-à-dire ?
Dès le début de la thérapie, il est nécessaire de décider d’être présent à ses sensations, d’être concentré, d’éliminer les pensées parasites (« le vagabondage cérébral » comme l’appelait le Dr Vittoz). La volonté telle qu’elle est envisagée par la méthode Vittoz est la mobilisation de son énergie de vie dans un but précis. Autrement dit, c’est l’exercice de notre liberté.
« La méthode Vittoz est un ensemble d’exercices destinés à densifier la personne de l’intérieur, à fortifier sa volonté, à la rendre plus libre. »
La volonté réhabilitée par la méthode Vittoz, n’est-ce pas aussi « vouloir sans tension », d’une certaine manière ? Autrement dit, vouloir sans que l’effort ne représente un acte en quelque sorte « artificiel » ou arc-bouté sur lui-même ?
Oui, dans la mesure où la personne qui apprend à faire des actes volontaires et des actes conscients est en mesure d’accepter pleinement de ne pas toujours réussir. L’acceptation n’est pas le découragement car celui-ci est totalement passif. Être libre dans la perspective vittozienne, c’est être en état actif, ne pas subir ses états d’âme, ses émotions, ses pensées. L’acceptation de celui qui pratique la méthode Vittoz est active : « Je décide d’accepter la situation telle qu’elle est, je décide d’accepter de ne pas avoir de prise sur cette situation, je décide d’accepter que je ne suis pas tout-puissant… ». Cette acceptation (j’insiste : une acceptation ACTIVE) permet d’entrer dans le dessein de Dieu, d’entrer dans une union de volonté.
Dès lors, peut-on dire que la méthode Vittoz et les petits exercices de réceptivité qu’elle induit peut aider les croyants à vivre le Carême comme un chemin vers Dieu ?
Comme la méthode Vittoz est psychothérapique, elle ne peut pas être appliquée telle quelle au Carême. Elle peut cependant donner des pistes de réflexion qui, pourquoi pas, feront prendre conscience au lecteur qu’il a peut-être besoin d’un accompagnement professionnel.
Vous dîtes que la méthode Vittoz ne peut être appliquée au Carême. Mais le mot « ascèse » est emprunté au grec askêsis, qui signifie « exercice » et le Carême suppose… une ascèse. Les exercices de réceptivité de la méthode Vittoz ne peuvent-ils pas jouer le rôle d’une ascèse compatible avec le Carême chrétien ?
La méthode Vittoz est effectivement un ensemble d’exercices destinés à densifier la personne de l’intérieur, à fortifier sa volonté, à la rendre plus libre. Mais il n’est pas question de mépriser le corps, bien au contraire. La personne restaure son unité corps, esprit et âme. Le corps fait partie intégrante de la rééducation du cerveau et beaucoup d’exercices vont l’impliquer. Je dirais que la finalité entre la méthode Vittoz et l’ascèse chrétienne est la même : rendre l’homme plus proche de l’homme tel qu’il a été créé par Dieu : un être libre. Dans la mesure où la méthode Vittoz va contribuer à la libération de la personne de tous ses mécanismes automatiques, de ses formatages, de ce qu’elle subit, elle rejoint l’ascèse chrétienne.
Il y a également l’entraînement inhérent à l’ascèse chrétienne et à la méthode Vittoz…
Oui, car se libérer prend du temps. Cela ne se fait pas en un claquement de doigt. Cela demande un réel investissement personnel, de la régularité, du courage. Il y a des rechutes, des progrès. La méthode Vittoz donne à la personne les moyens de se reprendre, de se ressaisir et ce, sans être dans le jugement sur soi-même. Car si l’on se juge soi-même, on quitte l’unité, on se dédouble en quelque sorte. Une part de moi fait, l’autre juge. Tout retour sur soi est à bannir. Le Dr Roger Vittoz disait que chaque exercice devait être « petit, précis, possible ».
« Dans la méthode Vittoz, la volonté s’exerce progressivement. Chaque acte volontaire se fait en se posant trois questions-clés qui font la lumière sur notre sincérité »
Faire pénitence et s’exercer à la pénitence demande au moins de la bonne volonté. Que dit la méthode Vittoz sur cette volonté humaine ?
Elle se fortifie progressivement. Elle est formalisée par le Dr Vittoz en trois questions à se poser :
- Qu’est-ce que je veux ? (Quel est l’objet de ma volonté?).
- Est-ce que c’est possible ? (Où, quand, comment…? Ce sont les conditions matérielles, il faut des réponses précises)
- Est-ce que je le veux vraiment ? (Suis-je sincère ? Suis-je totalement en accord avec l’objet de ma volonté ?) Si je n’entends pas la réticence qui est en moi (si réticence il y a), j’abandonnerai en cours de route ou je serai volontariste (tension).
Pouvez-vous donner un exemple ?
- Qu’est-ce que je veux ? Par exemple, réduire ma consommation de café
- Est-ce que c’est possible ? (Où, quand, comment… ?). Je n’en boirai qu’un le matin au petit-déjeuner.
- Est-ce que je le veux vraiment (sincérité de la volonté) ? Si je n’en bois qu’un le matin, j’ai l’impression que je vais somnoler toute la journée. Qu’est-ce que je vais faire quand les collègues vont boire un café ? Je vois que j’ai des réticences qui peuvent saper mes efforts. Je dois donc en venir à bout pour réussir à mobiliser l’énergie de ma volonté sur ce point : diminuer l’absorption de café. Or, je veux vraiment réduire ma consommation de café car j’ai identifié que j’ai perdu ma liberté sur ce sujet. Pour surmonter les réticences de ma volonté et réussir à diminuer ma prise de café, je peux par exemple décider de faire attention à mes heures de sommeil en veillant à ne pas me coucher trop tard, en prévoyant une dizaine de minutes après le déjeuner pour une sieste réparatrice, ou encore en décidant que je choisirai un thé lorsque je serai avec les collègues. Et s’ils m’interrogent sur la raison de mon abstinence, je les évangéliserai en parlant du Carême. Oui, désormais, je veux sincèrement ne prendre qu’un café le matin pendant ces quarante jours qui mènent à Pâques.
L’attention aux choses et aux êtres, est-ce que ça ne peut pas être aussi un pont entre la méthode Vittoz et la période du Carême ?
Oui, et cette attention s’exerce ! C’est un long apprentissage mais je peux décider de me mettre en route durant ce Carême. Je peux demander à mon épouse ce qui serait vraiment bon pour elle que je fasse. Il faut que ce soit concret et possible. Elle vous dira par exemple : « Je voudrais que tu rentres à telle heure, tel jour de la semaine, de façon que nous dînions tous les deux sans distraction ».
Autre forme de vigilance et d’ascèse que la méthode Vittoz peut soutenir : la lutte contre les mauvaises pensées. Qu’en pensez-vous ?
Je n’aborderai pas ici l’addiction à la pornographie ̶ qui relève d’un réel accompagnement ̶ mais des pensées que beaucoup d’hommes ont quand ils regardent des femmes. Quand ils les déshabillent en pensée. Dans la Bible, il s’agit déjà d’adultères. Beaucoup se rassurent en disant qu’il n’y a pas de passage à l’acte, que personne ne le sait et que tous les hommes fonctionnent ainsi. C’est en réalité ouvrir une porte qui pourrait être difficile à fermer si une tentation se présentait. Dans un premier temps, il est nécessaire de reconnaître ce penchant. Puis, je décide fermement de repousser de telles pensées quand elles se présentent. Quand une pensée germe, je la refuse et la remplace immédiatement par une courte prière que j’ai choisie et apprise préalablement. Par exemple le psaume 4, verset 2 : « Quand je crie, réponds-moi Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! » Ou n’importe quel verset du psaume 4 appris par cœur. Ou un autre psaume, un Je vous salue Marie, etc.). Si je tombe, je ne me décourage pas car c’est un entraînement pour la vie. Si je n’y arrive vraiment pas, j’appelle un praticien Vittoz près de chez moi et je vais me confesser !
La méthode Vittoz peut donc soutenir le combat spirituel. Mais elle ne remplace pas la grâce…
Le docteur Vittoz a clairement élaboré une méthode qui éduque à la liberté. Elle peut effectivement nous aider à identifier nos mauvaises conduites et à lutter contre. En nous invitant à rééquilibrer la réceptivité (par nos sens) et l’émissivité (des pensées par notre cerveau), elle fraye un chemin de vigilance et de présence. Reste à l’emprunter en s’exerçant !
Propos recueillis par Joseph Vallançon
Pour aller plus loin :
Être ici et maintenant. La méthode Vittoz, un chemin de vie, de Ghislaine Prouvost, éditions des Béatitudes, octobre 2022, 130 pages, 14 €.
Présentation du livre par l’éditeur (extrait) :
Notre mode de vie nous éloigne de la simplicité du moment présent si bien qu’il est devenu héroïque d’être « tout appliqué à l’action du moment ».
Les quelques exercices de la méthode Vittoz présentés ici nous feront découvrir la beauté de l’instant présent. Sans remplacer l’accompagnement d’un praticien, ils sont une introduction ou un soutien de celui-ci. Tout en nous disposant à écouter Dieu, ils s’adressent à tous ceux qui cherchent à mieux s’ancrer dans leur quotidien. Nul besoin alors de faire des choses extraordinaires pour devenir soi-même en plénitude. Être présent à soi, aux autres et à Dieu, ici et maintenant, est un véritable chemin de vie.
Où l’.acheter ?
Bonjour, le livre de Ghislaine Prouvost peut s’acheter en ligne sur le site internet des éditions des Béatitudes : https://www.editions-beatitudes.com/catalogue/vie-pratique-objet/etre-ici-et-maintenant/ . On peut l’acheter sinon dans n’importe quelle librairie religieuse, sur place ou en le commandant. Cordialement.