Quelle est, à vos yeux, l’époque de l’Histoire de France où les Français ont été le plus heureux ?
C’est peut-être la Belle Epoque, entre la guerre de 1870 et celle de 1914. La guerre menace à l’extérieur (on veut reprendre l’Alsace et la Lorraine aux Prussiens), mais il y a alors une espèce de frivolité, de bonheur même. C’est le triomphe de la bourgeoisie – une bourgeoisie éclairée qui a d’énormes qualité, peut-être même plus que la noblesse d’Ancien Régime. On sort du Second Empire avec tous les bienfaits que cette période a procurés. Une page a été tournée, celle de la guerre de 1870. Pour la bourgeoisie, c’est une période parfaitement heureuse.
… mais pas pour la classe ouvrière, si ?
La Belle Epoque ne fut pas pire pour les ouvriers que sous le second Empire. La grande époque pour eux fut le premier Empire parce qu’il n’y avait alors pas de chômage du fait de la conscription sous les drapeaux et parce que les salaires des ouvriers étaient relativement élevés compte-tenu de la pénurie de main d’œuvre. Les ouvriers ont gardé de Napoléon 1er un souvenir ému et ce sont eux qui vont voter pour Napoléon III.
Ne pensez-vous pas que l’époque la plus heureuse fut le Moyen-Age, notamment celle du roi Louis IX, au-delà des misères, des maladies ou des fléaux propres à ce temps-là ? N’est-ce pas à ce moment que la France connu sa plus grande ferveur et donc sa plus belle effervescence ?
Je suis embarrassé pour vous répondre car je ne suis pas un spécialiste de saint Louis. Il y avait tout de même à l’époque les Croisades qui éloignaient les hommes de leur famille, des épidémies… Je ne suis pas sûr que la vie d’alors fut plus confortable que celle de la Belle-époque. On ne peut juger du bonheur d’une époque seulement à travers le prisme du spirituel. Il faut aussi tenir compte du bien-être matériel.
« La plus grande force des Français ? Le patriotisme ! »
Quelles sont, à vos yeux et au regard de l’histoire, les plus grandes forces des Français ?
Ça l’a été mais ça ne l’est plus, c’est le patriotisme ! C’est Valmy avec les soldats volontaires de la Révolution française qui s’écrient : « Vive la Nation ! » lorsqu’ils partent à l’assaut des Prussiens le 20 septembre 1792. Ce cri de « Vive la Nation ! » enterre une autre Europe, celle de Mozart et de Rivarol, autrement dit celle des Lumières. Avec Valmy, on revient à l’Europe des nations. La France tire alors sa force dans le sentiment national. D’ailleurs, le mot chauvinisme en vogue à l’époque vient d’un soldat français dénommé Chauvin. A l’époque, les Français sont nationalistes. C’est donc bien ce sentiment de la nation qui a fait notre force et qui peut-être, à l’heure actuelle, est en train, de nous perdre, à cause de son affaiblissement.
En dehors de ce nationalisme qui est, somme toute, un sentiment moderne, quelles autres forces distinguez-vous dans la globalité de l’Histoire de France ?
Difficile de vous répondre puisque je suis avant tout spécialiste de la Révolution et de l’Empire. Mais regardez : déjà, au Moyen-Age, on voit poindre le sentiment national. Pensez, par exemple, à la bataille de Bouvines qui est une grande victoire des Français ! Je pense vraiment que c’est le sentiment national qui est la principale force de notre pays.
« Le plus grand danger pour la France ? L’éclatement du sentiment national, justement ! »
Quelle est à vos yeux le plus grand danger qui guette aujourd’hui notre pays ?
C’est justement l’éclatement du sentiment national et donc l’éclatement de la France ! Car la France peut s’éclater ! N’oubliez pas qu’elle a été constituée de provinces du temps des rois. Mirabeau parlait même du « royaume désuni » en 1789. En créant les départements, on a voulu détruire les particularismes locaux. Or, aujourd’hui, il y a des « territoires perdus » où ni la police, ni la justice ne peuvent vraiment faire leur travail. Nous allons donc vers un éclatement : à l’avenir, certaines zones seront islamiques quand d’autres seront bretonnes, corses, etc. Ce danger de l’éclatement est une réelle menace pour notre pays.
Voyez-vous des solutions pour contrer ou empêcher cette menace ?
Il faut réinsuffler l’esprit national. Je vais passer sans doute pour un réactionnaire en disant cela mais c’est bien en enseignant l’Histoire de France comme il se doit aux écoliers, aux collégiens et aux lycéens que les jeunes générations se sentiront solidaires aussi bien des Croisés et de saint Louis que des Volontaires de Valmy ou des Poilus de 14-18. En tant qu’historien, je ne peux guère évoquer d’autres solutions.
« Je suis avant tout un « prophète du passé » plutôt qu’un prophète de l’avenir.
Dans la situation actuelle et la pente dangereuse où glisse notre pays, quelles sont les raisons d’espérer ?
L’historien est un prophète du passé. Je ne me trompe jamais lorsqu’il s’agit de raconter la bataille d’Austerlitz ou celle de Valmy parce que je sais comment elles se terminent. Mais en ce qui concerne l’avenir et les raisons d’espérer, l’historien n’est pas le mieux placé pour en parler. Je reste donc avant tout un « prophète du passé » plutôt qu’un prophète de l’avenir.
Mais, l’Histoire est pleine d’enseignements, non ? A partir de notre passé, ne peut-on pas se faire une idée de l’avenir ?
Comme historien, je constate que la France est une terre de guerre civile et religieuse. Vous avez la guerre des Armagnacs contre les Bourguignons (pendant la Guerre de Cent-Ans), la guerre entre catholiques et protestants (guerres de religion, celles qui furent les plus terribles dans notre histoire), la guerre des révolutionnaires contre le camp contre-révolutionnaire, le conflit entre dreyfusards et anti-dreyfusards, celui entre collaborateurs et résistants (pendant la Seconde Guerre Mondiale). Aujourd’hui, la montée de l’Islam va entraîner inévitablement des conflits avec la laïcité et le christianisme. Il me semble qu’à nouveau, nous allons vers une guerre civile. Mais je ne suis pas politologue et ne peux guère vous en dire plus.
« On trouve dans notre histoire les solutions aux défis de notre époque. »
Face à cela, que peut-on faire ?
On peut rechercher dans l’Histoire des solutions. Il y en a de très nombreuses. Si le massacre de la Saint Barthélémy a été un échec, celui de l’édit de Nantes a permis de rétablir la paix religieuse et a valu à Henri IV sa popularité (pensez à la fameuse « Poule-au-pot »). Il faut donc puiser dans l’Histoire des solutions. La France sort des luttes révolutionnaires grâce au Consulat qui pacifie le pays et lui donne des institutions qui sont parvenues jusqu’à nous. A ce titre, je reconnais que l’historien peut être utile et que – comme je le disais tout à l’heure – il faut enseigner l’Histoire de France fidèlement.
A vos yeux, l’Histoire de France est-elle continue ? Ou bien la Révolution française représente-t-elle une cassure ou une rupture ?
Je pense qu’il y a une continuité. Simplement, il y a une force montante, à savoir la bourgeoisie, qui s’élève face à une force déclinante, la noblesse. Et la bourgeoisie va prendre le pouvoir. Mais elle récupère les nobles. Et la France continue de vivre…
Il n’y a donc pas un avant et un après la Révolution ?
Non, il y a continuité : le pouvoir judiciaire reste puissant après la Révolution. Et tout recommence… De même que les Parlements d’Ancien Régime s’opposaient au pouvoir royal, aujourd’hui, les contre-pouvoirs restent nombreux : le Conseil Constitutionnel, la magistrature, etc. L’homme reste toujours homme… !
L’expression « Ancien Régime » évoque pourtant bien, en elle-même, qu’il y a un régime ancien et un nouveau ? Et donc, un avant et un après… ?
L’Ancien Régime est une expression qui évoque la période de la monarchie absolue. Pas celle, par exemple, du Moyen-Age. Louis XIV n’a ainsi rien à voir avec saint Louis. Il y aura rupture le jour où les Français auront été éliminés par des habitants de la planète Mars qui viendront s’installer chez nous et qui établiront autre chose que ce que nous avons connu jusque-là. Pour l’instant, l’homme reste l’homme ! C’est avec la psychologie que l’on raconte l’Histoire.
Propos recueillis par Joseph Vallançon
0 commentaires