Il est des figures de légende dont le nom seul peut évoquer ce que l’homme peut avoir de plus grand et de plus noble. Tom Morel est de celles-là. A travers sa correspondance et les nombreux témoignages recueillis à son sujet, on découvre un officier saint-cyrien avec ses convictions, ses doutes et la conscience aigüe de sa mission d’éducateur.
Sa conviction première, c’est sa vocation d’officier ; elle est de celles qui exigent le don total de l’être dans la paix profonde de l’âme. Don total que Tom Morel puisait dans une foi ardente et une conception élevée du devoir. D’ailleurs, à un prêtre qui était son confident, il déclarait : « Priez pour que je garde jusqu’au bout, au milieu des difficultés comme au centre du bonheur et des joies de la famille, cette âme qui répugne à la médiocrité et qui voudrait s’élever toujours dans la noblesse ».
Commander par l’exemple
Tel est le programme du chef : se perfectionner sans cesse et donner constamment l’exemple. « Pour commander, écrivait Tom Morel, pour pouvoir plonger dans les yeux de son subordonné un regard franc et droit qui perce l’écorce et va chercher l’âme, il fallait que je sois moi-même parfait ; commandement par l’exemple : premier partout pour avoir du prestige, de l’influence, pour faire graviter autour de moi tous ceux qui me doivent obéissance, il faut être sans peur et sans reproche. J’ai bandé mon énergie et ma volonté ; j’ai bridé mon orgueil et ma sensibilité et pour apprendre à commander, j’ai essayé d’abord de servir ».
Cette conception du commandement le conduit à ne jamais ménager sa peine, à l’effort perpétuel, à refuser le confort nocif et amollissant, à rejeter toute médiocrité, tout reniement de soi-même et de ses actes. Il met parfaitement en pratique la devise de son parrain de promotion, le maréchal Lyautey : « La joie de l’âme est dans l’action ». Dans sa profonde foi chrétienne, il puisait le goût de l’effort et du sacrifice. Et c’est cette foi chrétienne qui a sous-tendu constamment l’action et les décisions du chef qu’il était, notamment les plus difficiles.
Fermeté et proximité
On rappellera, en février 1944, la dramatique condamnation et exécution d’un de ses hommes qui s’apprêtait à livrer ses camarades des Glières, haut lieu de la Résistance durant la guerre 39-45, à environ 30 km d’Annecy (Haute-Savoie). L’officier Morel a jugé et condamné sans faiblesse le traitre ; le chrétien Morel a pardonné et préparé le malheureux au grand passage. « Tom a conscience qu’il est son chef et qu’il est chrétien, écrit le père Guy Ravier, confesseur et biographe du résistant. Il l’appelle dans son bureau et là, seul à seul, pendant plusieurs heures, (…) il va préparer le condamné à la mort. Nous ne saurons jamais ce qui s’est passé entre eux, mais le lendemain ce n’est pas un lâche qui se dirige vers le petit bois où il sera exécuté, c’est un brave qui fait face au peloton en demandant pardon à ses camarades et qui offre sa vie pour le bataillon des Glières ».
Fuir la routine et la médiocrité
Toute âme, fut-elle d’une grande force et d’une grande noblesse, n’en connaît pas moins des périodes de doutes, voire d’abattement. Huit ans plus tôt, en mars 1936, alors élève à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, Tom Morel écrit à un ami : « Merci de ta lettre qui est arrivée à point nommé pour mettre fin à un état d’esprit assez lamentable de laisser-aller et de défaitisme ». Mais Tom Morel en a vite repéré les causes : la routine, la médiocrité. Il écrit : « Cette vie de discipline, d’encadrement, offre à la longue trop de facilités pour conquérir une bonne petite routine confortable, réglée par la loi du moindre effort. Il est vraiment aisé après les difficultés du début, de se caser dans son trou (…) qui vous met à l’abri des sanctions et vous procure une tranquillité et une paix toute superficielle ».
Le diagnostic ainsi porté, Tom Morel préconise les remèdes. Tout d’abord le travail intellectuel, professionnel, moral. « Il me semble, écrit-il, qu’au bout de deux années de Cyr, on doit être terriblement novice et inexpérimenté quand on entre dans un corps de troupe, et de cette inexpérience, il faudra se servir pourtant (…) pour commander et pour servir ». Ensuite, refléter la joie de vivre « afin de rayonner autour de soi une atmosphère bienveillante, vivifiante, de santé morale ».
Enfin, le don de soi. Tom Morel a fait sienne la devise de Guynemer : « Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné ». Ainsi seront évités les doutes, les déficiences, les compromissions, dans la mesure où seront conservées, selon le futur compagnon de la Libération, la force des principes et l’application en conscience des préceptes évangéliques.
La mission de Tom Morel a été de forger des hommes et des chefs, tant dans la période 1941-1942, où il fut instructeur à Saint-Cyr (replié alors à Aix-en-Provence), que comme chef du maquis des Glières.
Avoir un idéal bien défini
Les conseils adressés aux jeunes de son temps sont toujours aussi actuels : « Pour réussir, écrivait-il, il faut vouloir, vouloir de toutes ses forces avec un idéal bien défini, c’est-à-dire qu’il faut savoir où l’on veut se diriger, ce que l’on veut faire de sa vie (…) ; vous êtes des hommes, il faut penser à agir en homme et presque tout de suite en chef. Quel que soit le métier qui vous appelle, vous aurez à commander (…) Et pour être un chef digne de ce nom (…), il faut se préparer dès maintenant. Vous devez être des forts physiquement (que vos études ne vous fassent pas négliger cette partie importante), intellectuellement (travaillez à plein collier) et moralement (dressez votre caractère, trempez votre énergie en luttant contre vos défaillances) ».
Ces lignes se passent de commentaires. L’esprit de Tom Morel ne constitue-t-il pas une admirable synthèse des plus belles vertus chrétiennes, humaines et militaires ? L’exigence qui en émane ne peut-elle pas nous interpeller, nous, hommes du XXIe siècle dans nos différentes responsabilités humaines, professionnelles ou familiales ? 80 ans après sa mort au combat, le 10 mars 1944, Théodose Morel, dit Tom Morel, demeure une figure inspirante.
Jérôme Feuillas
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