L’Art de la guerre, écrit par Sun Tzu il y a 2500 ans, a consacré le passage des guerres rituelles vers les conflits armés plus complexes. Depuis, les belligérants savent que la victoire n’est plus liée au hasard ou à la volonté des Dieux, mais bien à la stratégie employée sur le champ de bataille. Pour autant, plusieurs évènements de notre Histoire soulignent de manière funeste que les Français n’ont pas toujours su briller dans ce domaine.
S’adapter aux nouveaux combats ou y périr : les leçons d’Alésia et de Crécy
La défaite d’Alésia est un cas classique d’échec stratégique dû à une mauvaise adaptation aux tactiques ennemies. Cette bataille oppose l’armée romaine de Jules César à une confédération de tribus gauloises unies sous la direction de Vercingétorix, chef de la tribu des Arvernes.
Celui-ci dispose de nombreuses troupes, composées de 80 000 hommes d’infanterie et 15 000 de cavalerie. Pourtant, il choisit de s’enfermer dans l’oppidum d’Alésia, sans prendre en considération les nouvelles techniques de siège romaines. Malgré leur supériorité numérique initiale, cette décision les a rendus vulnérables au siège mené par Jules César et ses légions romaines, forts d’environ 70 000 soldats. César a construit des fortifications de campagne élaborées pour encercler complètement Alésia, empêchant toute fuite ou arrivée de vivres grâce à un système de double ligne fortifiée. Ainsi, alors que Vercingétorix avait excessivement placé sa confiance dans sa supériorité numérique, c’est précisément ce qui l’a perdu, ainsi que l’écrit César lui-même dans sa Guerre des Gaules : « Les ennemis prennent la fuite, s’embarrassent eux-mêmes par leur nombre, et piétinent aux portes trop étroites. » Ce siège méthodique et l’utilisation de tactiques d’ingénierie avancées par les Romains ont finalement contraint Vercingétorix à la reddition, marquant un tournant décisif dans la conquête romaine de la Gaule.
La bataille de Crécy est un autre exemple frappant du manque d’adaptation aux nouvelles techniques employées par l’adversaire. Cet affrontement, survenu le 26 août 1346 durant la Guerre de Cent Ans, oppose l’armée anglaise, commandée par Édouard III et son fils, le Prince Noir, à l’armée française sous Philippe VI de Valois.
Au cours du conflit, le souverain français a montré un manque d’adaptation face à l’évolution des méthodes de combat. Malgré la présence d’une armée anglaise inférieure en nombre mais bien équipée d’archers longbow capables de tirer à grande distance, le roi a persisté avec des tactiques de cavalerie lourde traditionnelles. Cette obstination a conduit à une défaite désastreuse pour les Français, soulignant l’importance croissante de l’infanterie et de la puissance des armes à distance dans la guerre médiévale. Les charges de cavalerie, lancées sur un terrain défavorable et sans coordination, se sont heurtées à une pluie de flèches dévastatrice des archers anglais, causant des pertes massives avant même d’atteindre les lignes ennemies, en meilleure position de surplomb et nullement gênées ni par la boue qui baignait le champ de bataille, ni par le soleil dans leur dos, qui aveuglait les Français. La bataille de Crécy est devenue un symbole de la transition vers des formes de guerre plus modernes, où la mobilité et la stratégie prennent le pas sur la masse et la force brute. Philippe VI l’aura appris à ses dépens, et prononcera au pied du château où il se repliait : « « Ouvrez ! C’est l’infortuné roi de France ».
Ne pas se jeter dans la gueule du loup : les leçons de la Guerre de Sept Ans
La Guerre de Sept Ans (1756-1763), considérée par Churchill comme la première guerre mondiale en raison de son envergure globale, impliquait les principales puissances européennes de l’époque et s’est étendue bien au-delà des frontières du vieux continent, touchant l’Amérique, l’Asie et l’Afrique. Ce conflit a éclaté dans un contexte de tensions commerciales et territoriales croissantes entre la France et la Grande-Bretagne, notamment en Amérique du Nord et en Inde, ainsi qu’entre l’Autriche et la Prusse en Europe.
La préparation de la France à la guerre était mitigée, étant donné l’ampleur et l’échelle du conflit. La « Révolution diplomatique » de 1756 avait pourtant placé la France dans une coalition stratégiquement avantageuse contre la Grande-Bretagne, mais cela n’empêchait pas les Anglais de régner sans conteste sur les mers. Or, ce conflit concernait surtout les colonies dispersées dans le monde et impliquait donc pour s’engager de disposer d’une flotte de premier ordre. Louis XV se targuait, à juste titre, de disposer de l’armée la plus grande d’Europe, mais celle-ci n’allait pas pouvoir faire le poids face à la Royal Navy britannique. Une solution diplomatique ou commerciale aurait sans doute dû être préférée à une défaite probable, mais Louis XV choisit malgré tout de frapper le premier, avant même de déclarer la guerre. Si la première attaque française (sur l’île anglaise de Minorque) est un succès en apparence, cela a surtout enclenché un conflit maritime où la France s’est noyée. Un mois plus tard, la déclaration de guerre était officielle et la flotte française fut tenue en échec au large du Morbihan, du Portugal, du Canada, de l’Inde …
La guerre s’est conclue par la signature du traité de Paris en 1763, où la France a subi des pertes territoriales significatives, cédant la plupart de ses territoires nord-américains à la Grande-Bretagne et transférant la Louisiane à l’Espagne. Voltaire ne mâchera pas ses mots pour décrire ce gâchis : « L’État perdit, dans le cours de cette funeste guerre, la plus florissante jeunesse, plus de la moitié de l’argent comptant qui circulait dans le royaume, sa marine, son commerce, son crédit. » Cela a considérablement déplacé l’équilibre du pouvoir colonial et diminué l’influence mondiale de la France, mettant en évidence les enjeux élevés et les conséquences de ne pas envisager des alternatives plus prudentes ou diplomatiques à la guerre.
Regarder la situation dans son ensemble : la leçon de la ligne Maginot
La Ligne Maginot, construite principalement entre 1929 et 1935, est devenue un symbole de l’erreur stratégique de la France face à l’invasion nazie en 1940. Cette immense fortification, s’étendant du nord-est de la France jusqu’à la frontière avec l’Italie, était composée de casemates, d’ouvrages d’artillerie, de blockhaus, et de toute une infrastructure souterraine conçue pour rendre la France impénétrable face à une attaque allemande directe. Malgré cela, la Ligne Maginot était basée sur le principe de la Première Guerre mondiale : une guerre de position, de tranchées. Une vision plus globale aurait pu anticiper le conflit mobile de blitzkrieg (guerre éclair) imposé par les Nazis. En conséquence, l’Allemagne a pu contourner cette ligne en envahissant brutalement la Belgique, mettant en évidence l’échec français à anticiper une stratégie allemande plus flexible et moins attendue.
Malgré son coût exorbitant et la mobilisation de ressources considérables pour sa construction, la Ligne Maginot souffrait de faiblesses inhérentes dues à des contraintes budgétaires et techniques, qui ont limité son extension et sa qualité dans certains secteurs. La commission d’organisation des régions fortifiées (CORF), responsable de la mise en œuvre du projet, a dû réviser à la baisse ses ambitions, créant ainsi des lacunes dans la défense française. De plus, après la dissolution de la CORF en 1936, la construction a continué sous d’autres égides mais avec moins de cohérence, aggravant les faiblesses structurelles de la ligne et s’entêtant dans cette vision protectionniste trop simpliste. Toutes ces faiblesses étaient connues des Allemands, grâce à un remarquable travail d’espionnage, parfois glamour : Roger Bruge rapporte l’histoire d’une serveuse surnommée « Lily », qui non seulement a pénétré dans un site de la Ligne Maginot mais y a aussi séjourné pendant plusieurs nuits, multipliant les relations avec des officiers. Convoquée au commissariat spécial de Thionville, elle finira par avouer sous la pression d’un interrogatoire arrosé d’alcool.
La campagne de France en 1940 a révélé l’inefficacité de la Ligne Maginot comme stratégie de défense globale. Bien que certains ouvrages aient résisté aux attaques et démontré la qualité de leur construction, l’incapacité de la ligne à protéger la France de l’invasion souligne l’échec de la stratégie française à envisager la guerre sous tous ses aspects, se concentrant plutôt sur une approche défensive statique et coûteuse qui a été facilement contournée par l’ennemi.
L’Histoire de France, riche de ses batailles et conflits, nous enseigne une leçon impérissable : de l’antique défaite d’Alésia à l’échec moderne de la Ligne Maginot, toutes ces erreurs convergent vers une vérité fondamentale : le manque d’anticipation et d’adaptabilité peut conduire à des revers déterminants pour le destin d’une nation. Ces fautes stratégiques, loin d’être de simples anecdotes historiques, doivent nous servir de guides pour appréhender avec sagacité les défis futurs, en rappelant l’importance de la vision, de l’innovation, et de la flexibilité dans la conduite des affaires nationales et internationales.
Les dirigeants contemporains devront intégrer avec force cette nécessité d’évoluer constamment en réponse aux menaces émergentes, pour faire face à la mutation des modes de combat et ainsi préserver notre intégrité et notre souveraineté.
Christophe de Guibert
Pour aller plus loin :
- Le Prince (N. MACHIAVEL, 1532, aux éditions Presses Universitaires de France)
- Histoire de France (J. BAINVILLE, 1924, aux éditions Phoenix)
- Les pires décisions de l’Histoire de France (R. THOMAZO, 2015, aux éditions Larousse)
- Le grand bêtisier de l’histoire de France (A. DAGNAUD, 2021, aux éditions Larousse)
- La Guerre des Gaules (J. CESAR, vers 55 av. J-C, aux éditions Groupe Flammarion)
- Faites sauter la ligne Maginot : Non, le soldat français de 40 n’a pas démérité ! (R. BRUGE, 1975, aux éditions Fayard)
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