Au milieu du Ve siècle, l’Europe de l’Ouest était en proie à un tumulte profond. Les empires s’effondraient, les royaumes barbares s’élevaient, et la violence était une monnaie courante dans la politique. La morale semblait absente des affaires d’Etat, constitués principalement de conflits entre les royaumes germaniques et les vestiges de l’Empire romain d’Occident. C’est dans ce climat de chaos et de transition que sainte Céline, dans la région de Laon, en Picardie, donna naissance à un fils nommé Remi. Destiné à devenir une figure emblématique de notre Histoire, il s’éleva pour devenir l’évêque bâtisseur du royaume franc.
De Tolbiac à Reims, une promesse tenue.
Tolbiac, 496. Clovis, roi des Francs, se trouve confronté à de trop nombreux Alamans désireux d’en découdre avec son armée. Influencé par sa femme Clotilde, une chrétienne fervente, il invoque le Dieu des chrétiens. Grégoire de Tours rapporte sa prière : « Ô Jésus-Christ, que Clotilde affirme Fils du Dieu Vivant, toi qui donnes du secours à ceux qui sont en danger, et accordes la victoire à ceux qui espèrent en toi, je sollicite avec dévotion la gloire de ton assistance : si tu m’accordes la victoire sur ces ennemis, et si j’expérimente la vertu miraculeuse que le peuple voué à ton nom déclare avoir prouvé qu’elle venait de toi, je croirai en toi, et me ferai baptiser en ton nom ». Alors qu’il prononçait ces mots, le chef Alaman fut tué d’une francisque (hache typique des Francs), et les ennemis s’enfuirent devant un Clovis victorieux et décidé à se convertir. Remi, évêque de Reims, prend en charge l’instruction religieuse de Clovis, le préparant à embrasser le christianisme.
Le baptême de Clovis, réalisé par saint Remi, est entouré d’une aura de sacré et de miracle : selon la tradition chrétienne, une colombe apporta le Saint Chrême, une huile sainte, que l’évêque utilisa pour marquer Clovis. Ce signe de la bénédiction divine représente l’élection sacrée qui donne au roi procuration pour régner sur son pays. Cette onction est donc un moment fort, marquant la sanctification de Clovis et symbolisant l’approbation céleste de son règne. Le pouvoir temporel vient de Dieu, qui a lui-même choisi le roi : l’élection de droit divin s’invite dans le royaume des Francs…
La christianisation de la société, de la loi et de la justice
L’enjeu pour saint Remi était de taille : il fallait chasser le paganisme, et notamment l’arianisme, qui emprisonnait la société franque dans des mœurs que le christianisme se proposait de remplacer. Par exemple, lorsqu’il s’agissait de venger un affront, la loi du talion était encore en vigueur et faisait des ravages à cause des « faides » (vengeances obligatoires par la mort). Ainsi, pour contrer ce fléau juridique une nouvelle loi franque énuméra des sanctions, telles celles-ci sanctionnant les atteintes corporelles faites à la gente féminine : toucher la main d’une femme : amende de quinze sous ; toucher une femme de la main au coude : amende de trente sous ; etc.
La tâche était d’autant plus ardue que les évêques du Royaume étaient pour certains toujours acquis au paganisme, ainsi que le rapporte Michaud dans son dictionnaire biographique : « Dans une assemblée d’évêques, l’un d’eux avait osé produire quelques arguments [en faveur de l’arianisme] : la vérité trouva un vengeur dans saint Remi qui démontra si bien l’inanité des déclarations ariennes que l’impertinent baissa la tête et “fut frappé de mutisme”, ajoutent les hagiographes. Il ne recouvra l’usage de la parole qu’après avoir fait acte de repentir. ». Ainsi, au cours de sa longue vie (il mourut à 97 ans), l’évêque de Reims christianise le royaume franc du trône jusqu’à l’autel.
Grâce aux initiatives de saint Remi et de ses successeurs, le code salique (règlement militaire romain transformé en code pénal par les rois Francs) est influencé par des principes chrétiens. Il est en effet reconnu que l’adoption du christianisme a influencé cette législation, notamment en introduisant des concepts de justice équitable et de protection des faibles, mais surtout en établissant le christianisme comme religion d’Etat. On peut lire par exemple dans la loi salique : « L’illustre nation des Francs qui a Dieu pour fondateur […], [sortie de l’hérésie] [du] temps où elle vivait à la manière des Barbares, sous l’inspiration de Dieu, a cherché la clé de la Sagesse, en désirant la justice et en restant fidèle à la piété. » Sans qu’il soit possible de dater cet ajout, il fut inscrit en introduction de ce code : « Vivat Christus, qui Francos diligit » (Vive le Christ, qui aime les Francs). Ainsi commençait la première Constitution de notre Histoire … s’inspirant sans nul doute de la prière que Saint Remi formula au baptême du Roi des Francs, ainsi que le rapporte Flodoard dans son Historia Ecclesiae Remensis : « le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l’Église ».
Plus qu’un baptême, le sacre d’un roi … et d’une Europe.
Un ancien manuscrit rapporte que Remi avait une taille de géant : « près de sept pieds » (plus de deux mètres). La France serait-elle différente aujourd’hui si Clovis n’avait pas été marqué par le charisme de ce gigantesque évêque au point d’en faire l’acteur de sa conversion ?
Toujours est-il que le baptême de Clovis marque un tournant dans l’histoire de la politique franque et européenne : l’alliance du trône et de l’autel est établie, désormais le roi sera assisté du clergé. Par cette conversion fut initiée l’intégration de la morale dans la gouvernance du royaume franc. Au final, cette intégration a un impact profond sur la politique interne et les relations internationales : Clovis, désormais chrétien, forge des alliances avec d’autres royaumes partageant sa foi et reçoit le soutien de l’Église. En outre, la conversion de Clovis influence grandement la culture et l’identité du peuple franc et de ses voisins, jetant les bases d’une Europe chrétienne qui émergera dans les siècles à venir.
Ainsi naquit et vécut saint Remi, qui jeta les bases de l’un des premiers Etats chrétiens d’occident. Il en est cependant un autre qui le précède largement : l’Arménie seule peut se flatter d’avoir été le premier royaume chrétien du monde, depuis l’an 301. Aujourd’hui pourtant, ce pays est persécuté par l’Azerbaïdjan (aidé par la Turquie) et se déchristianise. Puisse saint Remi attirer sur cette nation souffrante la paix et l’espérance.
Christophe de Guibert
Pour aller plus loin : – CARLIER (Abbé), Vie de saint Remi, évêque de Reims et apôtre des Francs, Tours, 1896 – LEFLON J. (chanoine), La vie et l’œuvre de saint Remi, Reims, éd. Matot-Braine, 1942 – MARION, Histoire de l’Église, en 4 tomes, Paris, éd. Roger et Chernoviz, 1922 – MICHAUD, Biographie universelle ancienne et moderne/1ère éd., 1811 – FLODOARD, Histoire de l’Église de Rheims, Paris : J.-L.-J. Brière, 1824 |
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