Le Christ Roi ? Tout un imaginaire : encens et flamberges, grandes orgues et trompettes ! Cette fête solennelle n’a été instituée qu’en 1925, à une époque où la sécularisation de l’Occident a amené l’Église à rappeler à l’homme moderne qu’il n’est pas le maître du monde. Mais, pour récente qu’elle soit, cette fête fait vibrer les harmoniques des chansons de geste et des romans de chevalerie médiévaux. Un côté Tolkien assez grisant ! C’est l’occasion, messieurs, de prendre davantage conscience de la noblesse de notre condition humaine et de notre vocation à la gloire. Haut les cœurs !
« Venez, adorons-le ! »
Les codes de la chevalerie, du reste, ne sont pas loin de nos coutumes liturgiques. La génuflexion, à l’église, dérive des usages de la cour. Devant le seigneur des lieux, au Moyen Âge, on plie le genou. Combien plus devant Celui que la Bible appelle le « Seigneur des seigneurs » et le « roi des rois » !
Soumettre sa vie à Dieu n’est pas qu’une affaire d’agenouillements, bien sûr. Mais nous ne sommes pas de purs esprits. Notre adoration s’exprime à travers des gestes. Qu’ils soient donc parlants : devant le Saint-Sacrement – à l’autel, au tabernacle, ou exposé dans l’ostensoir, on pose à terre le genou, et le genou droit, s’il vous plaît ; le gauche, c’était pour honorer les grands de ce monde à la cour ! Pour enseigner aux enfants l’art de la prière, rien n’est plus éloquent que de voir papa à genoux, à l’église ou devant le « coin prière » à la maison. Inutile de torturer vos articulations. Quelques secondes suffisent. Et si vraiment ce geste est trop difficile, on peut toujours reprendre l’attitude traditionnelle des moines, la profunda (ou inclination profonde) !
Et la galanterie, alors ?
Dans les romans de Chrétien de Troyes (XIIe siècle), les chevaliers font chastement la cour à leur « Dame ». De là l’habitude d’appeler la Vierge Marie « Notre Dame ». Au Moyen Âge, par ailleurs, on offre volontiers des roses à « la Dame ». C’est l’origine des « rosaires » (ou couronnes de roses) et encore des « chapelets » (ou « petits chapeaux » en ancien français) dont on coiffe les statues de la Vierge, chaque rose représentant une prière. Plus viril qu’il y paraît, le Rosaire ! La méditation du chapelet nous offre même un excellent moyen pour soumettre au Christ et à sa Mère chaque aspect de notre vie. Nous inscrivons ainsi notre enfance et nos joies dans celles de Jésus, nos activités quotidiennes dans le sillage de sa vie publique, nos peines dans le creuset de sa Passion, nos appétits de réussite dans la gloire de sa Résurrection.
De la Reine du Ciel à la gente féminine, enfin, il n’y a qu’un pas. Un homme ne soumet pas sa vie au Créateur sans apprendre à respecter les femmes, joyaux de sa Création. Bref, sans éduquer patiemment son corps et son affectivité à la générosité et au don de soi, qu’on soit célibataire, consacré ou marié. Il est parfois coûteux, ce combat ; mais… noblesse oblige !
Droits et devoirs d’un enfant de roi
Notre amour doit se déployer dans d’autres directions encore. L’identité royale d’enfant de Dieu qui nous est conférée par notre baptême va de pair avec les devoirs que Jésus nous indique dans l’évangile choisi par l’Église pour la messe du Christ Roi cette année (2023) : la parabole des brebis et des boucs (Matthieu 25, 31-46). Nourrir les affamés, accueillir les étrangers, vêtir les indigents, visiter les malades et les prisonniers : ce sont ces œuvres de miséricorde qui vérifient concrètement notre soumission au Christ. « Nous serons jugés sur l’amour », enseignait saint Jean de la Croix. Or l’amour ne se paie pas de mots. Et puis, des faims, des soifs, des nudités, des solitudes et des enfermements, il y en a tellement, en tout lieu, et en tout genre…
Jésus n’est pas venu pour être servi, mais pour servir (cf. Mt 20, 28). Exercer sa royauté, pour lui, c’est sauver. Nous ne pouvons pas prétendre lui soumettre notre vie si nous ne sommes pas prêts à prendre notre part de ce service. En couple, en famille, au travail, en paroisse, partout dans la cité, trouver les mots, les attitudes, les gestes qui soulagent et qui sauvent. Aussi, quand nous plions le genou devant le Christ, rappelons-nous que c’est lui qui s’est agenouillé le premier devant ses disciples pour leur laver les pieds. Il n’y a pas de plus grande souveraineté que celle de l’amour qui élève et fait grandir. C’est exigeant, d’être un enfant de roi !
Père Sylvain Detoc
Merci pour ce bel article !