Dans le firmament des héros historiques, certains brillent d’une lumière discrète et singulière. Armand-Charles Tuffin, marquis de La Rouërie, appartient à cette constellation rare. Sa vie, telle une épopée, offre des leçons intemporelles bien au-delà des cercles royalistes, touchant le cœur de quiconque chérit les valeurs traditionnelles. Son parcours est marqué par des épisodes qui illustrent son esprit de rébellion et de fidélité aux principes.
Un caractère fougueux et audacieux
La jeunesse tumultueuse de La Rouërie révèle un caractère fougueux et audacieux. L’épisode de sa passion pour Mademoiselle Beaumesnil, jeune actrice de l’opéra, est digne d’une intrigue romanesque. La Rouërie, dans un élan de passion démesurée, tente de conquérir son cœur. L’aventure atteint son apogée lorsqu’il escalade les murs de sa demeure pour lui déclarer son amour, ignorant qu’elle était entretenue par son propre oncle … Armand, éconduit, se réfugia chez des moines.
Mais c’est son duel célèbre pour une question d’honneur liée à un poulet mal cuit qui marque les esprits. Pour La Rouërie, cet incident n’était pas qu’une querelle culinaire mais une affaire de respect et d’intégrité. Bien mal lui en prit : l’affrontement avec le comte de Bourbon Busset, un ami d’enfance du Roi Louis XVI, aboutit à un exil forcé à Genève, démontrant son engagement pour son honneur personnel au risque d’une déplaisante captivité. Pourtant, s’il méprisait sa propre liberté, il n’hésita pas durant le reste de sa vie à défendre celle des autres.
Un héros en Amérique
C’est son audace et son ingéniosité durant la guerre d’indépendance américaine (1775-1783) qui illustrent le mieux son esprit héroïque. Avant même de débarquer, La Rouërie survit à une attaque britannique, échouant son navire dans la baie du Delaware et arrivant sur les côtes américaines dans les conditions les plus périlleuses … c’est-à-dire à la nage. Impressionné par sa détermination, le Congrès américain lui accorde une audience. Sa déclaration de servir sans solde, désirant uniquement offrir son épée à la cause de la liberté, lui vaut l’admiration et un brevet de colonel.
Sa rencontre avec George Washington (commandant en chef de l’Armée continentale américaine) marque un tournant. Celui-ci, frappé par sa modestie, lui confie un commandement. La bataille de Short Hills, le 26 juin 1777, devient son baptême du feu et l’occasion de prouver son courage et son habileté militaire. Son nom de guerre outre-Atlantique, Colonel Armand, est aujourd’hui aussi connu des Américains que celui de La Fayette. C’est dire … !
D’ailleurs ce sont nos amis d’Outre-Atlantique qui se pressent encore aujourd’hui pour visiter les bois du château de la Guyomarais, dans les Côtes d’Armor, et qui y érigèrent une stèle trilingue (écrite en breton, français, anglais) pour indiquer le lieu de sa tombe.
Un rebelle contre la tyrannie
De retour en Bretagne en 1784, La Rouërie consacre son temps à veiller sur sa mère durant ses derniers jours. Par la suite, il se dresse contre les édits royaux qui réduisent les prérogatives des parlements, (considérées par le Roi comme les prémices de révoltes imminentes).
De fait, la Révolution éclate en France peu de temps après. La Rouërie critique vivement l’abolition des lois et des traditions spécifiques à la Bretagne, considérant les actions de l’Assemblée constituante (notamment en 1790 quand la province fut tronçonnée en départements et que le clergé fut persécuté) comme une atteinte à l’autonomie provinciale et aux droits historiques de sa région. En instaurant l’Association Bretonne, précurseur de la chouannerie, il initie la résistance de sa province et affirme son attachement aux valeurs et coutumes ancestrales, en lien avec les idéaux royalistes.
La Rouërie, homme de tradition, est également un être d’exceptionnelles excentricités. Parmi ses anecdotes les plus insolites, son amitié avec un loup qu’il a élevé et qui partageait son quotidien, voire son lit, reflète une personnalité hors du commun et charismatique. Son singe, lui, avait licence pour s’asseoir à ses côtés sur la croupe de son destrier.
Traqué par les républicains, réfugié dans les Côtes d’Armor, La Rouërie, malade, meurt du chagrin que lui apporta la mort du Roi guillotiné le 21 janvier 1793. Enterré à la va-vite dans les bois du château de la Guyomarais, il sera exhumé et décapité par les troupes révolutionnaires. Citons la sublime épitaphe qui orne son tombeau : « le mal qui l’emporta fut sa fidélité ».
Un homme inspirant
La vie de La Rouërie, empreinte de dévotion aux principes d’honneur, de liberté et de courage, incarne pour l’homme contemporain un idéal d’audace et d’intégrité personnelle, rappelant l’importance des valeurs traditionnelles dans un monde en mutation. Dans une époque où les engagements semblent volages et les rites souvent négligés, il demeure un symbole puissant pour ceux attachés à leurs racines tout en étant ouverts aux causes justes qui transcendent les frontières.
Puisse son héritage inspirer à chaque instant nos choix et engagements, et nous pousser à vivre avec la même intégrité et le même panache.
Christophe de Guibert
Pour aller plus loin : > Je boirai mon sang. Armand de La Rouërie, rebelle en Haute-Bretagne et jusqu’en Amérique. Ce roman d’histoire et d’aventures, écrit par le président du directoire du quotidien Ouest-France, François-Xavier Lefranc, raconte, en 368 pages, l’histoire du marquis en s’inspirant de la vie du héros breton. Il est paru le 26 octobre 2023 aux éditions Robert Laffont. > La BD Colonel Armand, de Washington à l’armée des Chouans, écrite par Thierry Jigourel et illustrée par Mankho a été publiée en janvier 2023 aux éditions du Triomphe (Collection : Le Vent de l’Histoire). Elle permet de découvrir cette noble figure à travers 48 pages de dessins et de bulles. Le tout, en couleurs. > La meilleure biographie est sans doute écrite par l’académicien G. Lenôtre (nom de plume de Louis Léon Théodore Gosselin), Le marquis de la Rouerie et la conjuration bretonne (1790-1793). > La plus inspirante cependant, pourrait être celle de Jean Raspail, éminent écrivain qui avait pour habitude de venir se recueillir sur la tombe du marquis de la Rouërie. Sa plume collabora pour l’occasion avec celle d’Alain Sanders et ce sont les éditions de l’Atelier Fol’fer qui purent ainsi publier cette biographie inspirante en 2013 : Armand de La Rouërie, l’« autre héros » des Deux Nations. |
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