L’autorité du maître n’est rien sans l’acquiescement de l’élève. En treize ans de carrière, j’ai vécu les fantasmes de l’autorité, ses échecs et ses joies. L’autorité n’est pas ce qui écrase, ce qui empêche l’autre d’être autre, irréductiblement. Elle ne va pas non plus de soi. Dynamique plus que statique, elle se joue dans la relation de l’élève au maître.
L’autorité n’est pas une évidence. Ma première année d’enseignement, à vingt-deux ans, j’avais rêvé de cette parole presque magique sortant de la bouche de l’enseignant pour atteindre l’oreille et le cœur dociles de son auditoire. Qu’il suffise de parler pour que la littérature devienne vivante et partie prenante de la vie de l’élève. Mais le résultat était pour le moins contrasté. Parfois semé, parfois mort, le grain pousse inégalement. De ceux qui s’enthousiasment à ceux qui se ferment ou se révoltent, l’autorité vacille entre sa légitimité – un titre, un concours, une fonction – et sa pratique. L’autorité est donnée par une institution qui est aussi une communauté. Qu’un cadre soit posé et reçu, que des parents et des adultes veuillent bien éduquer, et voilà l’autorité possible et désirable. Mais il faut l’incarner. C’est ainsi que ma parole d’autorité a été parfois impuissante à éteindre les bavardages, interrompre les bagarres en classe, empêcher que des centaines de textos soient envoyés chaque jour par Thomas, qui refusait d’ôter ses écouteurs, ou que Victor (devenu depuis éducateur) se lève pour lancer sa table sur moi. Je ne dis rien des circonstances familiales ou personnelles, qui bloquent toute autorité, et bien sûr des évolutions sociales et anthropologiques dont l’école est l’écho. Ancien élève studieux, enfant docile, étudiant souple, je ne comprenais pas que mon autorité n’aille pas de soi, qu’il la faille conquérir, et qu’elle s’écrase de temps à autre sous l’implacable volonté de la désobéissance, de l’opposition, de la simple paresse. Chaque rentrée, j’ai ce mauvais rêve que personne ne m’écoute et que mes élèves sont hostiles ou indifférents.
Je ne comprenais pas que mon autorité n’aille pas de soi, qu’il la faille conquérir, et qu’elle s’écrase de temps à autre sous l’implacable volonté de la désobéissance, de l’opposition, de la simple paresse.
L’autorité du maître naît de ce qu’il est auteur de son cours et d’une relation avec l’élève. Rechercher les savoirs, désirer les transmettre, préparer une leçon : c’est ce travail qui rend l’autorité possible. L’élève est sensible à la passion du professeur, à sa fréquentation vivante et vraie de sa discipline. Sensible aussi à la capacité du maître à reconnaître qu’il ne sait pas tout, qu’il se trompe parfois, qu’il doit se corriger lui-même. Je revois Aude, quinze ans, m’interrogeant avec soupçon ; et elle avait raison. L’habit, le ton, la posture : autant d’atouts supplémentaires, incidents et indispensables, pour non pas être autoritaire, mais faire autorité. L’humour aussi, plus que l’estrade. La compétence professionnelle surtout, davantage que les sophismes faciles. La douceur et la force, plus que l’excès brutal. Je l’avais senti dans le louvetisme : l’autorité se joue d’abord dans une relation de confiance entre le jeune et l’éducateur, mais aussi entre l’individu et le groupe, dans la familiarité de la vie partagée. C’est sa richesse et sa difficulté : s’exercer dans le lien personnel, se construire avec toute une classe, chaque année. Surtout, l’autorité est ce qui augmente le jeune, qui le fait advenir à lui-même. Quelle que soit la direction de son histoire personnelle, l’autorité du maître est au service de l’élève. Sans chercher à capter, elle peut captiver pour ouvrir des pistes. Je pense à Marc-Antoine, Lucien, Pascale ou Matthieu, qui ont décidé de poursuivre des études de lettres, à nos échanges, leur confiance et leur liberté.
L’autorité n’est donc pas donnée ni décrétée, mais exercée dans la rencontre des volontés. Pour que le maître ne soit pas un petit tyran, il doit écouter d’autres voix que la sienne, celles de ses pairs et de ses supérieurs. Et surtout, être attentif à la voix de son Maître : le Christ, modèle du chrétien qui enseigne.
Gilbert Goizin
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