A l’occasion de son lancement et de la fête de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, le 1er octobre, Louis me demande comment la spiritualité de la petite dernière de la famille Martin, fille de Louis et Zélie, peut aider les hommes à assumer leur identité propre. Ouf! Ce n’est pas une mince question ! Je réponds spontanément : en désirant aimer et en suivant la voie de la confiance.
Le désir d’aimer
Le désir est une dimension constitutive de l’être humain. Créés à l’image de Dieu, nous sommes des êtres de relation à la recherche de la vie en abondance, de la plénitude de l’amour. Thérèse est habitée très jeune par ce désir d’aimer qui se manifeste par un immense appétit de vivre. Pour elle, ce désir a un nom, un visage, une présence : Jésus.
Thérèse, patronne des missions, témoigne de l’amour de Jésus à partir de ce qu’elle vit et parle avec l’autorité du témoin. Sa spiritualité est personnelle et universelle. Son message est sa vie et sa vie est sa mission. À sa manière toute simple, elle pose des questions essentielles : quel est ton désir ? Quelle est ta soif ? Qu’est-ce qui te fait vivre ? Qui cherches-tu ?
La spiritualité de celle qu’on appelle « la petite Thérèse » ne se cantonne pas à la vie religieuse, mais elle inclut tous les états de vie et s’adresse à tout le monde, y compris les hommes. Il est d’ailleurs étonnant de constater, lorsqu’on consulte une bibliographie des ouvrages sur Thérèse, que ce sont surtout des hommes qui ont écrit et qui écrivent sur elle. Peut-être que son « je » libre et désirant les interpelle à se conformer au seul désir qui fait vivre : aimer.
C’est ce qui me fascine le plus chez elle ; son désir d’aimer jusqu’au bout, d’aimer surtout Jésus, le centre de sa vie. Thérèse est une âme magnanime au caractère bien trempé; une âme de désir, « née pour la gloire », comme elle l’écrit dans son Histoire d’une âme. Toute jeune, elle désire devenir « une grande sainte ». Elle incarne cet amour et ce désir dans les petites choses du quotidien. « Aimer, comme notre cœur est bien fait pour cela », écrit-elle (Lettre 109).
On croirait entendre Édith Piaf, qui a été guérie par Thérèse dans sa jeunesse et qui lui est restée fidèle jusqu’à sa mort. Ou bien Georges Bernanos, qui reprend son « tout est grâce » dans le Journal d’un curé de campagne. Les romans intimistes du grand écrivain français, comme La joie, sont imprégnés de la source évangélique qui irrigue aussi les écrits du plus jeune docteur de l’Église.
La voie de la confiance
Thérèse a un tempérament volontaire qui la pousse à exercer sa liberté d’une manière à ne vouloir choisir que ce qui fait plaisir au Seigneur. Sa spiritualité ne se résume pas en une pratique ou vertu particulière, mais en une intention fondamentale du cœur qui l’ouvre en toute confiance à l’action de l’Esprit Saint.
Sa « petite voie » de sainteté reste la pierre angulaire de ce qu’on a appelé « l’enfance spirituelle », expression qu’elle n’utilise pas et qui n’a rien à voir avec l’infantilisme. Marcher sur cette petite voie, ce n’est pas être crédule, passif, innocent, mais espérer en la miséricorde divine, s’émerveiller des actions du Seigneur, tout attendre de lui dans la joie. Il ne s’agit pas de ne rien faire, mais de travailler à notre propre transformation et à celle du monde, en nous unissant au Christ mort et ressuscité.
Thérèse est une guerrière qui, à l’exemple de Jeanne d’Arc, est animée d’un « mâle courage », jusqu’à « mourir les armes à la main », écrit-elle dans l’un de ses poèmes. Femme d’évangile, elle choisit une petite voie où l’on fait tout par amour sans se décourager. Au lieu de s’étonner des faiblesses des autres, elle s’édifie de leurs qualités. Elle ne désespère pas des échecs, mais elle supporte avec douceur ses imperfections. Elle ne s’appuie pas sur ses propres forces, mais elle prend l’ascenseur de l’amour que sont les bras de Jésus.
Très exigeante par son réalisme spirituel, cette petite voie de la confiance et de l’amour interroge le modèle du « vrai homme » qui ne pleure pas et qui ne doute jamais, qui pense tout contrôler, jusqu’à ses propres désirs et ceux des autres. Ce modèle d’une masculinité dominante peut conduire aux différents abus de pouvoir. On ne peut pas se bâtir soi-même en détruisant les personnes qui nous entourent.
Nous sommes ici aux antipodes du chemin des Béatitudes, où les pauvres de cœur et les artisans de paix sont rois. Thérèse nous propose le modèle par excellence pour s’aventurer sur sa petite voie, Jésus, le doux et humble de cœur : « Voici l’homme » (Jn 19, 5). Il est le serviteur souffrant qui lave les pieds de ses disciples, qui s’abaisse jusqu’à la croix par amour, qui triomphe du mal et qui nous sauve en nous élevant avec lui dans la gloire par sa mort et sa résurrection.
« C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 9-11)
Jacques Gauthier
Pour aller plus loin :
Jacques Gauthier a écrit des livres sur le même thème : La petite voie avec Thérèse de Lisieux (Artège, 2018) ; Thérèse de Lisieux, l’interview (Emmanuel/Novalis, 2020) ; Thérèse de Lisieux, parole d’espérance pour les familles (Béatitudes/Novalis, 2021) ; Thérèse de Lisieux, un fabuleux destin (Première Partie, 2022).
Merci à Jacques Gautier pour cet article et singulièrement pour ces lignes qui abordent avec intelligence et délicatesse la question du masculin et du féminin à travers les deux figures de Thérèse et de Jeanne d’Arc qui « déconstruisent » comme on dit aujourd’hui les stéréotypes de genre :
Thérèse est une guerrière qui, à l’exemple de Jeanne d’Arc, est animée d’un « mâle courage », jusqu’à « mourir les armes à la main », écrit-elle dans l’un de ses poèmes. Femme d’évangile, elle choisit une petite voie où l’on fait tout par amour sans se décourager. Au lieu de s’étonner des faiblesses des autres, elle s’édifie de leurs qualités.
Très exigeante par son réalisme spirituel, cette petite voie de la confiance et de l’amour interroge le modèle du « vrai homme » qui ne pleure pas et qui ne doute jamais, qui pense tout contrôler, jusqu’à ses propres désirs et ceux des autres.