Que nous dit François d’Assise sur le combat spirituel d’un chrétien ?
Que le combat est inévitable… et qu’il est source de joie profonde. Plus nous acceptons de nous laisser saisir par Dieu et façonner par Lui, plus il y a de résistances en nous. « En amour, ceux qui refusent le combat sont plus grièvement blessés que ceux qui y prennent part », soutenait Oscar Wilde. De même dans la vie spirituelle qui est une croissance dans l’Amour. Or croître ne va pas sans crise, sans mue, sans tiraillement, sans écartèlement. Rimbaud soutenait que « le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ». Le troubadour d’Assise aurait donné raison au poète de Charleville. Mais il aurait ajouté que ses fruits sont une paix et une joie que le monde ne peut donner.
Vous insistez, dans votre livre, sur les combats intérieurs de François. Pourquoi ?
On a tendance aujourd’hui à mettre davantage en lumière le frère pacifique et « œcuménique », le pauvre parmi les pauvres, l’écologiste avant la lettre chantant le Créateur…Cela peut être réducteur. François Bernardone ne serait pas devenu un « Autre Christ », comme on le surnomma, sans être passé par la Passion de son divin maître. C’est du cœur du Crucifié que jaillit la « joie parfaite ».
Pouvez-vous résumer son itinéraire ?
Exercice délicat… Disons que François, jeune homme flamboyant de la bourgeoisie dorée d’Assise, a une âme généreuse, de grand désir. Il veut une vie pleine de sens – dans tous les sens du terme. Mais il expérimente assez vite la vanité, la vacuité, l’amertume des plaisirs qu’offre l’argent. Alors, il rêve d’être chevalier et de mettre son épée au service d’une grande cause, d’un grand Prince. Et là, patatras. Lors d’un affrontement musclé contre les milices de Pérouse, la cité voisine, il est fait prisonnier et va passer un an en geôle.
Une sorte de retraite forcée ?
Exactement. Là, commence le retournement qui mènera à sa conversion. En effet, après bien des péripéties et quelques reculades, l’apprenti-chevalier réalise que le Grand Prince qu’il veut servir c’est le Christ, et que seul Dieu peut combler sa soif d’absolu. Mais pour se laisser emplir par Dieu, il va devoir renoncer à tout ce qui n’est pas Dieu, et se désapproprier de lui-même et de sa volonté propre.
C’est-à-dire ?
Pour François, le péché ̶ ce qui bloque la relation avec Dieu ̶ consiste à s’approprier sa propre volonté et à « s’exalter du bien que le Seigneur dit et opère (en nous et par nous) ». En un mot : l’orgueil. J’identifierai grossièrement trois étapes dans ce travail de désappropriation de François. Il se désapproprie d’abord de l’avoir. Pour ne pas être prisonnier des biens, François se dépouille de tout, jusqu’à se dénuder physiquement devant l’évêque d’Assise. Il épouse pour toujours « Dame Pauvreté ». Moins l’homme possède, plus il appartient à Dieu, le Souverain Bien à l’origine de tous biens, et plus il dépend des autres. Désormais, François n’a plus rien en propre. Il goûte tout ce qu’il reçoit comme un don, un cadeau de Dieu : c’est l’un des secrets de sa joie.
La deuxième étape ?
La lutte contre ses passions, ces tentations qui le referment sur lui-même : la colère, la tristesse, la luxure, la vanité… On les combat en cultivant la vertu qui leur est contraire : la douceur, la joie, la discrétion, la chasteté, la reconnaissance, etc. Cela passe aussi par la lutte humiliante contre ses répulsions. Celles-ci, chez François, culminent dans son dégoût des lépreux. La troisième étape pourrait être la désappropriation de son œuvre. Celle-ci se développe si bien, si vite, que François est dépassé. Sa « création » lui échappe ! Il va la remettre à l’Église afin qu’elle la structure et la pérennise, mais il peine à faire confiance aux clercs qui la prennent en main. C’est une époque de tensions, qui culmine dans un pic de grande épreuve. François est assailli par les doutes, le pessimisme, la tristesse, la confusion. Ses frères ne le reconnaissent plus.
Que se passe-t-il ?
Le fondateur se méfie du nouveau supérieur de l’Ordre et craint que sa fraternité soit détournée de sa vocation première. J’imagine aussi que François traverse une nuit de la foi : Dieu s’absente, se retire de lui. Selon son biographe Thomas de Celano, les démons « lui envoyaient des tentations de plus en plus fortes à mesure que croissaient ses mérites (…) et s’acharnaient à le ramener à la médiocrité ». De plus, il est accablé par la culpabilité de ses fautes, il craint d’avoir emmené ses frères dans une impasse, il doute même de son salut. Il s’effondre dans une solitude glacée et frôle le désespoir – l’arme préférée de l’Adversaire. Il mène alors le combat de la persévérance aride dans le désert de la confiance aveugle.
Comment s’en tire-t-il ?
C’est Dieu qui l’en tire ! François crie au secours. Le Seigneur lui demande d’offrir son œuvre dans un abandon total. Et Il l’assure, en retour, de son salut, tout en le rassurant sur le sort de la Fraternité : « Tu dois tout tenir pour une grâce ». J’aime cette phrase de saint François : « Si je garde patience et ne suis pas ébranlé, je te dis que cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l’âme. »
A travers ces combats, Dieu a donc purifié François de ce qui restait en lui d’orgueil et d’amour propre ?
Oui, c’est cela ! Le Petit pauvre rejoint le Christ dans son abaissement et son humilité. Il lui ressemble à ce point que le Crucifié grave dans sa chair les stigmates de Sa passion. Ces marques lui rappellent ce que ses péchés ont fait endurer à son Sauveur ; François en pleure de tristesse, de componction, mais aussi d’action de grâce. Ses stigmates ne lui sont pas donnés comme une médaille du mérite ! Ils lui rappellent aussi les propos de saint Paul : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu ; il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier. » (Ep. 2, 8-9)
Une parole du nouveau testament qui combat les velléités orgueilleuses…
… Et qui me fait penser à cette phrase du Père Marie Dominique Molinié : « Vous mesurerez votre humilité à votre confiance, parce que, pour avoir confiance, il ne faut pas se regarder, mais regarder uniquement Dieu et ce qu’Il veut faire. » Tout combat spirituel se résume, je crois, à un combat contre l’orgueil, cette tentation originelle de nous prendre pour dieu – et donc, de nous passer de Dieu. L’humilité permet la confiance et aussi l’action de grâce pour toute l’œuvre de Dieu en nous : sans Lui, nous ne pouvons rien faire. C’est Lui qui remporte le combat en nous. C’est pourquoi la contemplation du crucifié tient une si grande place dans la prière de François.
Comment celui qu’on canonise déjà de son vivant, demeure-t-il dans l’humilité ?
En rendant grâce, précisément, pour la vie et les dons reçus. En acceptant toutes les humiliations de la vie ; en s’en imposant parfois. Et en ne cessant de contempler, jusqu’à l’anéantissement, l’humilité de Dieu : que ce soit en s’émerveillant devant la puissance du Créateur qui se dissimule derrière la beauté de ses œuvres ; en servant les pauvres et les lépreux en qui il reconnaît le visage défiguré et mal aimé du Crucifié ; enfin, en s’abîmant dans l’adoration eucharistique. Ce Tout-puissant que François contemple dans la gloire de Sa création, est le même qui s’humilie jusqu’à se faire homme, et s’abaisse à demeurer parmi nous dans une minuscule hostie.
Un dernier point à souligner ?
Oui, et pas des moindres : François, est sans cesse accompagné de frère Léon, son confesseur et « directeur spirituel ». Il a éprouvé la puissance de feu du Tentateur. Aussi se confesse-t-il souvent à Léon, et prend conseil sans modération. Le sacrement de pénitence est un antidote puissant contre l’orgueil et un repoussoir pour son maître subtil.
Résumé du livre par l’éditeur :
Du sang, des larmes, de l’aventure, des combats, du suspens, des lumières fulgurantes et des ténèbres épaisses… La vie de François d’Assise est un roman. C’est comme tel que Luc Adrian nous la raconte dans cette biographie jubilatoire. En dépoussiérant l’un des plus grands saints par son approche résolument originale et décalée, ce page-turner dévoile avec authenticité le cœur brûlant du frère universel. Dont la radicalité évangélique révèle alors toute sa modernité…
À la suite de Julien Green ou Éloi Leclerc, Luc Adrian nous offre une biographie romancée de saint François dans un style extrêmement fort et original. Fous-rires, émotions et contemplation garantis pour les 13-93 ans.
François d’Assise. Le chevalier sans armure. Luc Adrian, éditions de l’Emmanuel, octobre 2023.
Merci de cette belle initiative qui nous permet à la lumière de l’Esprit Saint d’accomplir pleinement notre vocation d’homme, d’époux et de père. Fraternellement, Lionel