La parabole des talents peut renvoyer vers un certain découragement. D’après le texte, la figure du maitre y évoque un Dieu dur. Il s’en va loin, demande une rente… Apparemment absent lors de l’effort de fructification, ce maître n’en semble pas l’auteur, mais il en exige pourtant le dû, sans égards notables pour les efforts déployés par le dépositaire du talent. Toute sa difficulté se résume en ces quelques mots sortis de la bouche du mauvais serviteur : « Tu es un homme dur et tu moissonnes où tu n’as pas semé » !
Ces paroles constituent un défi pour notre intelligence et posent la question de la teneur de notre foi. A certains moments de l’existence, d’après de multiples témoignages, elles peuvent résonner avec insistance, comme un appel dont les tenants et aboutissants restent encore obscurs et peuvent susciter jusqu’au sentiment de sa propre insuffisance. Pour certains, elles renvoient même à une blessure, celle de la confiance en soi. Peut-on pourtant accepter de penser que Dieu est « un homme dur », et pourrait-on, à la suite de cette parabole, le réduire à un Maître qui « moissonne où il n’a pas semé » ?
Le talent, un point de brillance
Dans notre langue, le talent exprime bien ce qu’il est : quelque chose d’inné, que nous avons reçu. Il n’est pas quelque chose que l’on découvre par soi-même. Dans le concret de nos vies, il se manifeste généralement comme un point de « brillance », que les autres nous révèlent. Ainsi d’une facilité, qui nous est propre et spécifique, à concevoir, produire ou réaliser ; pour l’architecte, il s’agira d’une maison harmonieuse et fonctionnelle, pour un avocat, d’une aptitude à capter la compassion d’un auditoire, à émouvoir… pour un décorateur, une capacité à créer une atmosphère intérieure, etc. Sur un plan psychologique, le talent se révèle comme une chose exécutée facilement, sans se fatiguer, à l’inverse de ceux dépourvus de ce talent. Que ce soit dans le cadre des loisirs ou dans celui de la vie professionnelle, son exercice est reconnu comme vecteur de bien : il contribue à une certaine forme de paix et d’épanouissement, pour soi-même d’abord, puis pour les autres.
Aussi, l’exercice des talents étant ce qui nous réalise, nous construit et fait du bien, peut-on vraiment prétendre que l’appel du maître à les exercer (car il ne s’agit pas d’autre chose) est l’appel d’un maître loin de tout, sans égards pour notre condition ? Peut-on vraiment affirmer que le maître moissonne où il n’a pas semé, sans amour pour sa créature ?
Une invitation aux vertus libératrices
L’une des difficultés peut résider dans le fait que ce passage constitue une exhortation à l’activité. Cela peut évoquer dans l’imaginaire tout ce que l’action présente de difficile : esprit d’entreprise, prise de risques variés, engagement physique, moral, financier, psychique, requérant des compétences diverses… Mais cela peut aussi résonner comme une invitation plus simple. Entendue comme une exhortation à l’activité de manière générale, sans exigence de maîtrise ou d’excellence, cette parabole peut révéler à son auditeur des vertus libératrices… Être actif, tâcher de répondre à un appel, pour lequel nous n’avons aucune obligation de résultat, sans recherche fiévreuse compliquée, peut apporter plus tard le bonheur, dont il n’est pourtant pas parlé dans ce passage…
A ce sujet, une remarque s’impose. Selon les tempéraments et le penchant naturel à l’action, la réponse à l’appel de cette parabole sera plus ou moins aisée… Un entrepreneur né, porté à l’action, partira probablement favorisé devant la demande de faire fructifier ses biens (ses talents), au contraire d’un intellectuel pour qui l’action reste imparfaite et dont le penchant contemplatif premier reste objet de correction par la vertu toute la vie…
Le bonheur de s’accomplir
Si devant une telle parabole, des inégalités liées aux données initiales du tempérament se présentent, la difficulté peut donc être bien réelle pour certains. Mais Dieu, en bon Père, veut aussi notre croissance, notre autonomie et que nous parvenions à la stature de l’homme accompli, dans tout ce que cela signifie. Il dispose les choses afin que, nos efforts aidant, la croissance vienne aussi de nous-mêmes. Pourrait-il, sans cette collaboration de notre part, donner plus tard à notre cœur et à notre psychisme cette estime de soi nécessaire ? Et sans cela, pourrait-il donner à ses créatures ce qu’il veut pour elles, c’est à dire le bonheur d’être plus accomplies et plus en phase avec elles-mêmes, fières d’avoir franchi des étapes ? Ses créatures seront-elles reconnaissantes d’être bien entrées dans le bain de la vie, avec la grâce de Dieu, s’il n’y avait eu initialement pour cela, « apport » de leur part ?
Ainsi le mauvais serviteur, devenu bon, pourra se rendre compte que l’appel apparemment dur et lointain, était en réalité motivé par un amour qui le dépasse, bienfaisant et sage.
Christophe Dubreuil
0 commentaires