Dans les catégories de métiers recensées par les cabinets d’orientation[1], se trouve la catégorie dite des « réalistes ». L’homme qui a besoin de mesurer ce qu’il fait, de se dépenser physiquement, qui aime contempler le fruit de son travail et qui apprécie le plein air est de ce type-là. Ces constantes le caractérisent en tout ou en partie. C’est l’architecte, les travaux terminés, qui contemple l’immeuble qu’il a conçu, ou l’agriculteur qui regarde avec satisfaction les amas de grains à la fin de la moisson.
Dans mon parcours, longtemps, je n’ai pas perçu de cohérence. Un bilan de compétence est venu m’aider à en trouver, après dix ans de vie professionnelle.
De l’armée au séminaire
Lorsqu’en 3e j’ai demandé à mon père de faire de la menuiserie, celui-ci, tout en m’emmenant faire des stages, m’a dit : « Tu as des capacités, tu pourrais faire des études générales et voir après ». Attiré alors par la dépense physique et les valeurs d’engagement militaires, l’armée se présentait à moi comme une voie répondant à mes aspirations. En six ans, ayant été entrainé à vivre cette première expérience à fond, j’ai compris cependant que mon fort n’était pas d’abord d’être un chef.
Être prêtre ? Le décès récent de mes deux parents, le mariage de mon frère et l’engagement de ma sœur dans la voie religieuse me donnaient un sentiment de solitude douloureux… J’entre alors au séminaire, où j’ai été nourri intellectuellement, ce qui, je l’ai su plus tard, correspondait à ma deuxième composante en termes d’aspirations, toujours selon la typologie évoquée plus haut. Mon appétit pour la vérité et sa découverte en était satisfait. Mais mon cœur souffrait encore de solitude, à quoi se mêlait un sentiment d’échec et d’amertume, notamment à l’égard de mon expérience militaire… Mes supérieurs, qui l’avaient décelé, ne jugeaient pas bon de m’encourager dans cette voie.
La traversée du désert
A Paris, dans les deux années qui suivirent, je ne parvenais pas à retrouver de travail, surtout du fait d’idées fausses sur moi-même dont j’étais malheureusement pétris. J’avais été cadre, il fallait donc que je retrouve des fonctions de cadre… Je ne devais pas dégringoler sur une prétendue échelle sociale ! Mais je n’obtenais pas de réponses à mes candidatures ; je végétais… et mon oisiveté devenait malsaine et source d’égarements… « Fais ce que tu veux, mais d’ici trois mois, il faut que tu aies retrouvé un boulot, ou repris une formation » m’avait alors soufflé un ami. La nécessité de réagir me poussait à trouver des solutions. L’une d’entre elle, facile d’accès, était de commencer une formation en menuiserie. Elle se situait bien en dehors des prétentions qui m’habitaient. J’entrepris donc de contacter une école à cette fin, ce que je fis d’abord sans grand enthousiasme.
Une joie jamais éprouvée jusqu’alors
Lorsque sont arrivés par la suite les moments où j’ai commencé à me sentir à ma place, c’est la joie et le bonheur de vivre, longtemps absents, qui me l’ont manifesté. Le soir, dans mon lit, après une journée de travail comme salarié en menuiserie, je me souviens que je jubilais intérieurement d’une joie très vive, que jamais je n’avais éprouvée jusqu’alors. J’avais aussi eu la chance, après ma formation, d’avoir été embauché par une entreprise aux valeurs humaines très bénéfiques, de taille familiale. Je n’éprouvais plus dès lors la nécessité de changer d’orientation.
Ainsi, pour avoir démarré dans une certaine douleur ̶ celle qui vient de la méconnaissance de soi ̶, mon parcours s’est stabilisé dans la voie de l’artisanat, ce qui n’a pu se faire sans le passage par une certaine honnêteté intellectuelle vis-à-vis de moi-même, à l’écoute des autres… C’est aussi le fait de m’être tourné vers la vérité, (et une vérité joyeuse, qui s’est révélée et découverte à moi, vers laquelle les autres m’entrainaient) qui a permis à tout cela de se réaliser.
Christophe Dubreuil
[1] Voir la typologie de Holland : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_RIASEC
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