Dans le récit de la création, l’apparition de l’homme vient à la fin, comme le sommet de l’œuvre de Dieu : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa ». Et le texte biblique ajoute aussitôt, passant du singulier au pluriel : « homme et femme, il les créa ». C’est seulement dans la vérité de leur oui, qu’à deux, ils arriveront à ne faire plus qu’« une seule chair ». Et une vie nouvelle pourra surgir de ce oui.
Mais il faut reconnaître qu’en l’homme, l’image de Dieu est abîmée, parfois gravement défigurée. C’est pour nous libérer de cette errance que Dieu a envoyé son Fils sur terre. Il voulait nous apprendre ou réapprendre à dire oui, et pour cela, nous faire entendre un vrai oui et voir de nos yeux le « oui » de Dieu au monde, dans la personne de Jésus.
On présente souvent saint Paul comme l’infatigable évangélisateur du bassin méditerranéen – à juste titre, certes, et avec quelle force, quelle énergie ! Mais, pour moi, il est d’abord un contemplatif. Il « voit » que Jésus est la réponse de Dieu à tous nos troubles et nos questions. Cette contemplation fait de lui un survolté quand il parle du Fils : « il est l’Image du Dieu invisible, le premier né de toute créature… Tout subsiste en Lui » (Col. 1, 15-17). La création entière trouve en lui son énergie, son unité, son harmonie, son sens et son élan…
L’une des expressions les plus fortes de Paul, même si elle n’est guère citée, est celle où il résume toute la vie de Jésus en un seul mot… le lecteur aura deviné lequel : « Le Fils de Dieu, le Christ Jésus (…) il n’y a eu que oui en lui » (2 Cor 1, 19). Voilà donc le sens de la vie et de la mission de Jésus qui s’adresse ainsi à nous : « Oui, le Père vous aime ; oui, il m’a envoyé pour vous sauver. Je donnerai tout pour vous remettre debout. Oui, je suis la vérité et la vie… »
Le oui de Jésus, centre de l’Evangile
C’est pourquoi j’ai toujours considéré le moment où Jésus dit oui comme le centre de l’Evangile. On ne l’entend que dans deux passages des Évangiles de Matthieu (11, 25) et de Luc (10, 21) qui sont manifestement un moment unique, même si les contextes immédiats semblent opposés. Dans le récit de saint Matthieu, Jésus vient de se lamenter sur Chorazeïn et Bethsaïde, alors que Luc (qui semble corriger la joie un peu « vantarde » des 72 qui reviennent tout fiers d’avoir « soumis » en son nom des démons !) introduit ce « oui » dans une explosion de joie sainte : « Oui, Père », …voilà ton amour qui déferle sur le monde. Ce contraste est très utile pour notre cheminement spirituel ! Les situations changent, nous réjouissent ou nous accablent, mais l’important est de rester fidèle au « oui » qui est la source de toute notre vie et l’assurance de son équilibre.
Depuis notre enfance, combien de personnes ont été, pour chacun de nous, des signes clairs et simples que nous avions nous aussi une place à tenir, un service à rendre, un témoignage à donner. C’est un exercice utile de faire mémoire de ces visages qui nous ont marqués, parce que leur vie « sonnait juste ». Nous n’avons jamais pensé à les suivre ou à les imiter, car chacun a sa mission, mais nous sentions qu’il y avait un appel à entendre, un exemple à imiter, une force à trouver pour avancer sur notre propre chemin.
C’est ce que je pensais en lisant récemment les témoignages rassemblés dans le livre Nous, pères, qui sommes sur terre (Artège, 2022). On y entend cette « musique », dans l’évocation de situations si différentes : un père, c’est celui qui apprend à ses enfants à avancer vers le oui de leur vie. Il ne pourra y parvenir qu’en étant attentif à chacun, en le servant constamment, sans toujours le comprendre. Mais la condition fondamentale pour réussir cette mission dont chacun se sent indigne, c’est tout simplement que l’enracinement du oui de ce « père » soit clair dans sa famille, son travail et toute sa vie. Les inévitables pauvretés ou faiblesses de notre manière d’accomplir la mission, de vivre notre oui n’empêcheront pas le message de « passer », comme si nos vies n’avaient comme but que de faire entendre aux autres cet unique message : « Oui, vous êtes aimés. Avancez avec l’assurance que l’amour peut et doit être victorieux. Faites tout pour qu’il le soit ! »
Cardinal Philippe Barbarin
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