Avec le recul que vous avez aujourd’hui et la sagesse de l’âge, quel regard portez-vous sur votre expérience du mariage : plutôt chemin de croix ou « pétales de roses » ?
Henry Venard : A bientôt 90 ans, j’ai envie de répondre : les deux, mon capitaine ! Mon âge et ma postérité (six enfants, vingt-huit petits-enfants, quarante-deux arrière-petits-enfants soit, au total, près de cent descendants ̶ provisoirement ̶ avec leurs conjoints) font que, pour l’ancêtre que je suis, la vie ne fut jamais un long fleuve tranquille. En 64 ans de mariage, mon épouse et moi avons dû affronter des situations très difficiles mais vivre aussi des moments d’intenses bonheurs. Nous en rendons grâce à Dieu quotidiennement.
Vivre des moments « d’intenses bonheurs », c’est agréable. Mais comment affronter les « situations difficiles » dans sa vie conjugale comme avec ses enfants ? Avez-vous une « recette » à donner en tant qu’homme ?
Une recette ? S’il y en avait une, ça se saurait ! Non, on fait confiance à la Providence qu’avec mon épouse, on invoque souvent dans notre prière quotidienne. Et on tente d’aider les uns et les autres, chacun avec son charisme, en utilisant les moyens dont le Seigneur nous a pourvus, la douceur féminine compensant ̶ partiellement au moins ̶ la rigueur masculine. Les épreuves (il y en a toujours), on les surmonte à deux, qu’elles soient d’origine familiale, qu’elles proviennent de notre vie de couple ou qu’elles nous soient tout à fait extérieures.
Cette alchimie de votre couple vient-elle de votre éducation ?
Bien sûr, nos origines nous y ont préparés : familles nombreuses d’un côté comme de l’autre enracinées dans la foi et baignant dans l’espérance chrétienne, une éducation dans des établissements religieux, trente mois de séparation avant notre mariage, des débuts de vie conjugale difficiles sur le plan matériel et bourrés d’aventures… Il fallait faire face. On s’y est employé, quitte à user de la « correction fraternelle » envers nos descendants mais en se réfugiant toujours dans la prière et souvent en faisant appel à l’aide d’un parent ou ami religieux.
Beaucoup de couples, même enracinés dans la foi chrétienne, ne tiennent pas dans la durée : le mariage durable, c’est une lubie de bourgeois ? Ou un privilège de nantis de Dieu ?
Ayant beaucoup reçu, nous ne pouvions que tenter de faire fructifier ce que des siècles de traditions familiales avaient déposé dans notre corbeille de mariage. On a fait au mieux. Et la vie nous a transformés en passeurs, plus ou moins adroits certes, mais confiants en la Providence. Et aujourd’hui nous rendons grâce. Le mariage est une aventure qui se construit à deux mais en vue des autres et notamment de la progéniture que le Seigneur veut bien nous confier. Ne voyez en nous ni des héros ni des saints.
Pas des saints, certes, en tout cas pas encore (!), mais peut-être bien des héros. Pour tenir, il faut quand même de l’héroïsme, non ? Ne serait-ce que l’héroïsme de la patience vis-à-vis du conjoint chaque jour de la vie commune, celui de la persévérance quoiqu’il en coûte… et du pardon, si difficile parfois à demander ou à donner. Qu’en pensez-vous ?
Je préfère garder une forme de pudeur sur mon expérience personnelle du mariage d’autant que je ne suis, comme beaucoup dans ma famille, ni patient ni persévérant. Donc rien d’un « héros » comme vous le dites. Mais on garde le sens du devoir d’état, notamment. Quant au pardon, cela ne me demande aucun effort particulier. C’est ma nature. Ne m’attribuez pas de mérite, sinon celui d’avoir fait le bon choix lors de nos lointaines fiançailles. C’était l’œuvre du Saint Esprit qui, depuis, ne cesse de nous tracer la voie.
Quels conseils pourriez-vous donner à des jeunes hommes qui aimeraient se marier mais qui ont peur du grand saut que cela représente et du défi de rester fidèles tout au long de la vie ?
Des conseils ? Je n’en ai jamais reçus… Je vous avouerai même que ma femme et moi n’avons pas suivi de « préparation au mariage » comme on peut le faire aujourd’hui. Mais l’un comme l’autre, nous étions décidés et notre séparation très longue et pleine de surprises nous a permis de réfléchir sur cet engagement définitif que, devant Dieu et devant les hommes, nous allions faire.
C’est une aventure tout de même… !
Bien sûr ! D’ailleurs, on nous avait enseigné, tant à la maison que dans notre cercle familial, amical ou scolaire, que « les parents sont les aventuriers du monde moderne », pour reprendre la belle formule de Charles Péguy. L’aventure, il fallait lucidement la tenter et nous y engager sans réserve. Et finalement on ne regrette rien !
Le mot de la fin ?
Quand je vois des jeunes s’interroger sur cette aventure qu’ils pressentent dans le mariage, j’ai envie de leur crier : allez-y, appuyez-vous l’un sur l’autre, n’ayez pas peur ! A deux on peut, la foi aidant, transporter les montagnes. Et regardez autour de vous ; il y a tant de ces aventuriers obscurs qui, sans bruit, mènent une existence en tous points exemplaire. Et ne craignez pas l’échec : l’amour conjugué à la prière le surmontera toujours.
Propos recueillis par Joseph Vallançon
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