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Dans l’ombre des batailles et des traités, l’Histoire de France est souvent marquée par des égarements individuels, des choix guidés par des passions, des peurs ou des colères … De l’Ancien Régime à l’Empire, examinons de plus près ces moments où le cœur plus que l’esprit a façonné le destin du pays.
La liaison de Louis XV et Madame du Barry : une dérive passionnelle
Louis XV, surnommé le Bien-Aimé, a pourtant vu sa popularité décliner au fil de son règne, notamment en raison de ses nombreuses liaisons. Sa relation avec Jeanne Bécu, connue sous le nom de Madame du Barry, est celle qui a provoqué le plus grand scandale. Introduite à la cour en 1768 grâce à l’appui du comte Jean du Barry, un courtisan influent (et l’un de ses nombreux amants), cette roturière séduisante devient rapidement la favorite officielle du roi. Cette femme d’origine modeste et ayant un passé de courtisane (voire de prostituée), ne possédait ni l’éducation ni le statut social nécessaire à Versailles. Malgré cela, Louis XV fut éperdument épris d’elle, ce qui lui permit d’exercer une influence notable à la cour. Sa présence provoqua une onde de choc parmi les courtisans et dans les cercles du pouvoir.
Hélas, à l’heure où la presse à scandales naissait, cette maitresse trop affichée apportera autant de tourments que d’émois à Louis le Bien-Aimé. Sa plus grande détractrice fut la fière dauphine de France Marie-Antoinette d’Autriche, par qui cette relation a même exacerbé les relations entre la France et l’Autriche ! La future femme de Louis XVI écrit ainsi à son pays natal que son époux « a mille bontés pour [elle] et [qu’elle] l’aime tendrement, mais c’est à faire pitié la faiblesse qu’il a pour Mme du Barry, qui est la plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable. » Le très moral Louis XVI obligera finalement Mme du Barry à quitter la Cour. Cette bonne décision fut cependant trop tardive, car le mal était fait.
La relation du roi avec sa maitresse officielle a durement terni l’image de la monarchie, accélérant l’érosion de l’autorité royale. En exacerbant les divisions d’un royaume rongé par les intrigues, autant internes à la Cour qu’externes avec des pamphlets qui dépeignaient un roi déconnecté, cette idylle a creusé le fossé entre la royauté et le peuple, servant de terreau à la future fronde révolutionnaire. Cet exemple illustre ainsi la manière dont les affaires personnelles peuvent brouiller le jugement d’un leader et influencer la politique nationale. Pour autant, si l’amour est un levier puissant, la peur l’est tout autant, nous le verrons avec un personnage plus révolté …
La paranoïa au pouvoir : Robespierre ou la Terreur terrorisée
Maximilien Robespierre incarne les contradictions d’une période marquée par des idéaux élevés et une violence extrême. Son ascension, influencée par une personnalité paranoïaque, a conduit à l’une des phases les plus sanglantes de l’histoire française : la Terreur. Ce leader intransigeant au sein du Comité de salut public s’est rendu célèbre par ses compétences oratoires et son intégrité apparente qui lui ont valu le surnom d’« Incorruptible ». Cependant, derrière cette façade se cachait une méfiance croissante envers ses contemporains, y compris ses alliés les plus proches. Alors qu’il n’était encore qu’étudiant en droit, le jeune Maximilien était déjà un « garçon méchant et sournois », avec « un caractère détestable et une envie démesurée de dominer », selon ses professeurs de droit à Louis le Grand …
Robespierre a vite dévoilé sa paranoïa en voyant des ennemis partout, ce qui l’a conduit à prendre des mesures extrêmes pour tout contrôler et tout purger. Ce délire de persécution est bien illustré par l’élimination des Girondins (l’un des camps adhérant pourtant fermement à la Révolution), qu’il percevait comme des modérés prêts à trahir la cause révolutionnaire. Même ceux qui reprenaient ses propos étaient suspects, car comme l’Incorruptible le disait lui-même : « Il y a des hommes qui parlent bien mais qui ne font rien de bien » ou encore « Les Girondins ne cherchent qu’à renverser la République en prétextant sa sauvegarde ».
Il transforma la Terreur en politique d’État, où des milliers de personnes ont été exécutées ou emprisonnées sans procès. Sa peur que des conspirations se trament contre lui l’a poussé à intensifier les politiques répressives. La Loi des suspects, ardument défendue, lui permettait d’arrêter quiconque était simplement soupçonné de sentiments contre-révolutionnaires, soulignant la manière dont sa paranoïa a façonné les politiques gouvernementales. Rien de surprenant pour quelqu’un qui habitait dans sa jeunesse Arras … rue des Rapporteurs !
Ces actions, motivées par sa paranoïa et son désir de maintenir le contrôle, ont non seulement semé la terreur en France mais ont également entraîné sa propre chute : ses collègues, alarmés par son comportement autocratique, ont fini par se retourner contre lui. Robespierre a été arrêté et exécuté sans procès. Son règne de terreur a démontré comment la peur, au pouvoir, peut déstabiliser un gouvernement et détruire la justice. Ainsi, les affections personnelles peuvent influencer de manière critique les événements historiques comme le montre la campagne napoléonienne en Russie.
La campagne de Russie : une triste vendetta
« A 9 heures du soir, on donna l’ordre de bâtir deux baraques flottantes pour la rencontre des souverains, […] au milieu de la rivière. » Ainsi est décrite par un député la première rencontre entre Napoléon et le tsar Alexandre 1er, en 1807. Cette relation ne devait pas durer car la Russie refusa de se joindre au blocus anti-britannique imposé par la France. Quand Alexandre 1er déclina en plus l’invitation à se rendre au mariage de Napoléon et Marie-Louise en 1810, l’esprit de Bonaparte se brouilla …
Alors qu’on l’enjoignait à éviter ce conflit, il méprisa les réalités militaires et météorologiques et, en 1812, il appela 680 000 hommes à marcher vers Moscou. Cette décision a marqué l’un des tournants décisifs de son règne, combinaison dangereuse d’orgueil et de mésinterprétation stratégique. L’invasion a commencé lorsque la Grande Armée a traversé cette rivière Niémen où s’étaient rencontrés les deux grands hommes en 1807. L’avancée fut d’abord rapide, l’armée russe évitant les affrontements, pour appliquer une tactique de la terre brûlée, privant les forces françaises de ressources. La bataille de Borodino, le 7 septembre, a été l’affrontement le plus sanglant, et malgré la capture de positions clés, la victoire n’a pas été décisive pour Napoléon, trop hésitant à engager sa Garde impériale (d’ailleurs, Vladimir Poutine célèbre encore Borodino comme une victoire russe).
Lorsqu’en septembre les Français atteignent Moscou, ils la découvrent déserte et en flammes. Cette victoire en demi-teinte suffira à Napoléon qui entame une longue retraite sans approvisionnement, dans un hiver glacé. Ce retour a vu l’anéantissement de la majeure partie de la Grande Armée, que Napoléon abandonne à mi-chemin malgré les difficultés croissantes (comme la traversée de la Bérézina en novembre) pour rentrer plus rapidement en traineau à Paris, où des complots se trament.
La campagne a non seulement été un échec militaire, entraînant la mort de 200 000 soldats, mais elle a aussi significativement affaibli le pouvoir de Napoléon et réduit son influence en Europe. Les nations européennes, voyant la vulnérabilité de Napoléon, ont renforcé leurs coalitions contre lui, menant à des défaites ultérieures et à son exil. La Campagne de Russie reste un exemple classique des risques de laisser les émotions personnelles, comme la vexation et l’orgueil, influencer la stratégie militaire.
Morale
Ces trois erreurs passionnelles (idylle de Louis XV et de Mme du Barry, rectitude paranoïaque de Robespierre, susceptibilité de Napoléon) nous montrent comment les hommes peuvent se laisser dicter leurs actes par l’amour, la peur ou l’orgueil. En fin de compte, l’histoire de France est autant une affaire de cœur que de raison. Chacun de ces récits interroge sur la capacité de nos dirigeants à acquérir une liberté intérieure propre à gouverner avec l’intelligence pour seul phare, et l’intérêt du peuple comme seul cap.
Christophe de Guibert
Pour aller plus loin : – Histoire de France (J. BAINVILLE, Editions Phoenix, 1924) – Robespierre (J. ARTARI, CNRS Editions, 2009) – Louis XV, l’inconnu Bien-Aimé (Y. COMBEAU, Editions Belin, 2012) – Les pires décisions de l’Histoire de France (R. THOMAZO, Editions Larousse, 2015) – La Santé psychique de ceux qui ont fait le monde (P. Lemoine, Editions Odile Jacob, 2019) – Secrets d’Histoire (B. CHACHUAT, revue en ligne, 2022) |
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