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La société moderne aseptise, rend tout confortable, bienveillant, tolérant, sans relief à gravir. Pourtant, c’est dans la difficulté que l’on grandit, que l’on s’éveille et que l’on devient fort par nécessité, par l’accomplissement enthousiaste d’un devoir qui donne du sens et qui n’existe que dans le combat contre des obstacles.
L’épreuve, condition de survie des civilisations selon Michael Hopf
Ainsi pourrait-on résumer la pensée de ce penseur conservatiste américain, ancien Marine et garde du corps : « Les temps difficiles créent des hommes forts. Les hommes forts créent des périodes de prospérité. Les périodes de prospérité créent des hommes faibles. Et les hommes faibles créent des temps difficiles. »
Hopf observe que c’est précisément dans l’adversité que l’homme est poussé à se dépasser. Lorsqu’une société est confrontée à des défis extrêmes – qu’il s’agisse de guerres, de crises économiques ou de catastrophes naturelles – elle doit mobiliser ses ressources, adapter ses valeurs, et encourager ses membres à endosser des rôles de protecteurs, de bâtisseurs, ou de leaders. A contrario, la richesse et l’immobilité crée l’endormissement et la faiblesse d’une société dont les membres ne connaissent ni la privation ni l’épreuve, et qui se trouvent donc dépourvus de la force intérieure qui ne nait que dans l’adversité.
La difficulté n’est donc pas une contrainte mais au contraire le creuset nécessaire de toute civilisation qui veut perdurer. Ainsi naissent et disparaissent certains empires, forgé dans la violence et la force avant d’être étouffé par le confort et la richesse. L’Empire romain incarne parfaitement ce cycle. Né dans l’adversité, il a prospéré grâce à des dirigeants robustes, forgés par les guerres et les luttes internes. Mais une fois la prospérité installée, les générations suivantes, habituées à l’opulence, ont perdu la vigilance et la discipline des fondateurs. La décadence a suivi, menant à la chute de Rome, affaiblie et vulnérable face aux invasions barbares.
C’est pourquoi, si l’on suit l’idée de Michael Hopf, l’épreuve est souhaitable, et l’homme vertueux doit la désirer et la demander pour s’accomplir.
La virilité accomplie : le désir de l’épreuve
La prière du Para est l’exemple parfait de ce que doit être une saine virilité : elle exprime le désir de l’épreuve en des mots plus qu’inspirés. Conscient que seule l’adversité pourra l’édifier, méfiant envers le confort et l’opulence, l’auteur, André Zirnheld, s’adresse à Dieu pour lui demander des tourments que d’autres auraient fui, et de « les avoir toujours, car [il n’aura] pas toujours le courage de les [lui] demander ».
Extraits du manuscrit original d’André Zirnheld :
« Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste, donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas le repos ni la tranquillité, je ne vous demande pas la richesse.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement que vous ne devez plus en avoir.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste.
Je veux l’insécurité et l’inquiétude, je veux la tourmente et la bagarre,
Et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement, que je sois sûr de les avoir toujours,
Car je n’aurai pas toujours le courage de vous les demander.
Mais donnez-moi aussi le courage et la force et la foi.»
Des témoignages rapportent que cette prière a été diffusée à la BBC dès 1943, et sa popularité n’a alors cessé de grandir des deux côtés de la Manche. Elle deviendra traditionnelle dans l’Ecole Militaire Interarmes, et sera mise en musique sur l’air qui a remplacé la Marseillaise comme hymne national sous Napoléon : la Marche consulaire.
Nous avons une idée, nous avons une direction, il ne reste plus qu’un homme exemplaire qui les revête et nous éclaire …
Confort ou combat, il a fait son choix : l’exemple de Pierre Strozzi
Pierre Strozzi (1510-1558), issu d’une des plus riches familles florentines, était promis dès son plus jeune âge à une vie protégée, destinée à l’Église, loin des dangers et des batailles. Son père, grand mécène et proche de la cour de France, l’avait mis à l’abri du besoin et des périls, lui offrant ainsi une existence sans difficultés majeures. Mais cette vie, aussi confortable soit-elle, n’allait pas durer.
Lorsque son père fut assassiné par le clan Médicis, ennemi politique juré de sa famille, Pierre Strozzi fit un choix radical : au lieu de rester dans le sillage ecclésiastique prévu pour lui, il renonça à une vie de confort et de sécurité pour embrasser la voie militaire. Il rejoignit le roi de France, Charles IX, et s’engagea dans des campagnes marquées par la violence et l’incertitude, mais aussi le plaisir d’être acteur de sa vie au lieu de suivre une route tracée d’avance. Strozzi contribua à plusieurs victoires décisives pour la couronne française et joua un rôle clé dans la formation du corps des dragons, symbole même de l’adaptabilité et de la rigueur dans l’adversité. Jusqu’à sa mort, il fit preuve d’audace : c’est au cours d’une mission de reconnaissance particulièrement périlleuse d’un emplacement de batterie qu’il est frappé d’un coup d’arquebuse, lors de la bataille de Thionville.
L’histoire de Strozzi montre ainsi que même un homme issu du confort peut choisir de devenir acteur de son propre destin en embrassant les épreuves. Là où d’autres auraient pu se contenter d’une vie facile, il fit le choix du combat et du dépassement de soi. En acceptant la douleur et le risque, il transforma ce qui aurait pu être une existence sans éclat en un destin héroïque, démontrant que la grandeur d’un homme naît avant tout dans sa capacité à surmonter l’adversité. C’est dans ce choix de l’épreuve, et non dans le confort, que se révèlent la force et la virilité d’un homme véritablement accompli.
Finalement …
Le monde contemporain suggère en permanence que pour être heureux, il faut s’endormir, protéger notre confort de la moindre éraflure et aplanir les chemins pour éviter de les gravir. Et pourtant, Michael Hopf nous enseigne que c’est ainsi que les empires s’évanouissent. Et pourtant, c’est en demandant des épreuves que la prière du Para transfigure ceux qui la prient avec la ferveur d’André Zirnheld. Et pourtant, Pierre Strozzi a su devenir un homme sur les champs de bataille d’avantage que dans les couloirs d’un évêché construit en même temps que son berceau.
Souhaitons pour nous-même l’épreuve qui nous permettra de développer des vertus qui ne sauraient naitre dans un canapé ou un sauna et retrouvons le goût de la difficulté, ce goût chevaleresque que d’autres voudraient voir disparaitre.
Christophe de Guibert
Merci de cet article, Christophe, et des références qu’il contient!