Avant les vacances ont eu lieu dans ma paroisse les professions de foi : affluence en grand nombre de personnes inhabituées à la messe ou à la pratique. Le temps de louange préparatoire à la célébration peinait à couvrir le brouhaha des conversations des familles ou des personnes venues par convention sociale ou par souci de se plier aux coutumes d’une religion respectée mais peu connue.
Une remise en question
Je me suis posé, de manière latente ces derniers temps, des questions simples et qui affleuraient à ma conscience chaque dimanche : pourquoi venions-nous là, précisément, dans cette paroisse ? Était-ce légitime ? Pourquoi n’allions-nous pas plutôt dans l’assemblée dominicale plus proche de chez nous plutôt que dans cette paroisse de l’Emmanuel, notre communauté d’appartenance, plus éloignée ? Chaque fois, nous faisons un déplacement qui pourrait sembler bien superflu : nous retrouvons les mêmes visages, côtoyons ceux et celles avec lesquels nous servons ou travaillons même…. Et la question de l’entre soi se reposait, avec son lot de justification.
Le souvenir des moines de Solesmes
Ce jour de profession de foi, donc, ce questions se sont à nouveau bousculées dans ma tête. Heureusement, un souvenir personnel est venue à la rescousse. Cela remontait à une retraite que j’avais faite à vingt ans, dans une abbaye bénédictine. A Solesmes (c’est son nom), quand on est retraitant et que l’on ne connait pas encore le Christ « de l’intérieur », ou par une « rencontre », comme cela peut arriver pour certains, le retraitant assiste aux offices guidé par des carnets de prières fournis par les moines. Tandis que l’on s’associe à ce rassemblement de la communauté monastique et que l’on assiste au spectacle apaisant de la liturgie, les moines prient. Ils sont là, dans le chœur, à leur place depuis longtemps, dans un cadre immuable depuis plusieurs siècles. Tournés les uns vers les autres, ou vers le tabernacle selon l’avancée du cérémonial, Ils y resteront plusieurs décennies jusqu’à leur dernier souffle. Ils prient pour ceux qu’ils accueillent, ces visiteurs d’un jour ou d’une heure dans leurs murs : badauds occasionnels qui incarnent le monde extérieur venant à eux et qui prend place à la jonction de la nef et du chœur..
Les moines, eux, sont dans le chœur.
Une simple présence qui manifeste la Présence
N’´y a-t-il pas ici une analogie avec ce qui se passe dans une paroisse lorsque des gens peu habitués à la messe viennent remplir les bancs du dimanche matin ? Les vieux « piliers » du lieu sont alors comme les moines qui prient et qui se tiennent dans le chœur depuis longtemps et les « visiteurs d’un jour » comme ces retraitants occasionnels de Solesmes (ou d’autres abbayes) qui se tiennent à la jonction du chœur et de la nef.
C’est touché par les prières de ces moines, à ces moments précis, qu’une effusion de l’Esprit Saint m’a alors été octroyée par grâce. On dit que là où une effusion de l’Esprit se produit, c’est qu’un ou plusieurs chrétiens prient pour des personnes, afin qu’elles rencontrent le Christ.
Je sais et je ne doute pas que des moines ont trouvé du sens à leur présence fidèle au chœur en priant pour les visiteurs qui, là, à côté d’eux, venaient ou viennent encore le temps d’un office. Pourrais-je maintenant douter de cette vérité? Je sais aujourd’hui que c’est à ces moines qui m’avaient vu, et qui ont prié pour moi à cet instant, que je dois d’avoir vécu une telle expérience.
Une réalité invisible devient palpable
Devant ces retraitants ou gens de passage, le lien à Dieu des moines se fait visible. Leur état de créature se manifeste dans sa forme la plus parfaite : ils prient et adorent Dieu vers qui ils tendent leur visage, tournent leur corps, leur cœur et leur esprit (parfois dans des efforts de volonté ineffables et admirables….). Ils disent des mots d’amour à ce Dieu en qui ils croient et qui finit toujours par les combler. Dieu, ̶ ils le savent et ils en jouissent, même sans le sentir parfois ̶ est un Dieu aimant, un Dieu d’Amour.
Ainsi, tout ce qui se passe de visible dans ce chœur vouté de pierres claires fait paraître une réalité invisible qui devient palpable : un échange qui se passe de mots. Tous les gestes et paroles de la liturgie, bien incarnés, s’y expliquent par cette réalité sans laquelle rien n’a de sens. Il y a un vide aux yeux de la seule raison et des yeux nus, mais ce vide donne aux yeux du cœur de percevoir l’Être recherché par tout homme, ou quelque chose de Lui.
Seul Dieu explique la tenue dans le temps des monastères et leur raison d’être. Comme le dit Timothy Radcliffe, ancien maître de l’Ordre des Prêcheurs, ces lieux habités prouvent l’existence de Dieu qui y trône.
Un signe réel pour les autres.
N’en est-il pas ainsi de nos paroisses ? Que voient les visiteurs occasionnels d’un dimanche qui y viennent ? Des fidèles livrés à leurs soucis, pire, à eux-mêmes? Ou bien des créatures qui s’efforcent, avec un pauvre amour qui fait mouche, de retrouver leur Dieu ainsi rendu palpable aux autres ?
Les moines évangélisent et changent le monde par leur exemple et leur recherche incessante du Créateur. Ainsi les paroisses à travers leurs membres peuvent aussi évangéliser.
Les chrétiens devenus des sortes de piliers « additifs » de leur église, des « pierres vivantes » (1P 2-5) peuvent ainsi offrir à ceux qui viennent occasionnellement dans ce lieu béni, un témoignage dont la puissance ne doit pas être négligée.
A travers leur communion paroissiale et fraternelle, ils peuvent donner à « sentir » un recueillement, une paix, que les non habitués ne trouvent pas ailleurs. Ils peuvent prier à leur intention et leur obtenir quelque chose qui les marque, ou les marquera pour toujours, et qui feront d’eux, plus tard, des frères ou des sœurs fervents dans la foi, au désir inextinguible similaire à celui des moines.
Christophe Dubreuil
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