La sexualité conjugale selon le Docteur de l’Amour divin (2/2)

par | 23 Jan 2024 | Aimer | 0 commentaires

[EXCLUSIVITE] Comment se comporter chrétiennement avec son épouse dans le lit conjugal ? De la pureté du lit à la sexualité exemplaire des éléphants en passant par l’onanisme, saint François de Sales, surnommé le « Docteur de l’Amour », répond à cette question dans le chapitre 39 de son best-seller, l’« Introduction à la vie dévote ». Traduction inédite et intégrale du chapitre en question par David Laurent, à partir du texte original du XVIIe siècle.

Avant de découvrir la traduction inédite du chapitre 39 de l’Introduction à la vie dévote où saint François de Sales s’exprime sur la sexualité dans le couple, mieux vaut lire les éléments du contexte de l’œuvre et de l’époque :

De l’honnêteté[1] du lit nuptial

Le lit nuptial doit être immaculé, comme l’Apôtre le rappelle[2], c’est-à-dire exempt d’impudicités et autres souillures profanes. Ainsi le saint mariage fut premièrement institué dans le paradis terrestre où jamais, jusqu’à l’heure [fatale[3]], il n’y avait eu aucun dérèglement de la concupiscence[4], ni chose déshonnête[5].

Il y a quelques ressemblances entre les voluptés honteuses[6] et celles du manger, car toutes deux regardent la chair, bien que les premières, en raison de leur véhémence brutale, s’appellent seules charnelles. J’expliquerai donc ce que je ne puis pas dire des unes par ce que je dirai des autres.

1. Le manger est ordonné pour conserver les personnes ; or, de même que manger simplement pour nourrir et conserver la personne est une bonne chose, sainte et commandée, aussi ce qui est requis au mariage pour la production des enfants et la multiplication des personnes est une bonne chose et très sainte, car c’est la fin principale des noces.

2. Manger, non point pour conserver la vie, mais pour conserver les mutuelles relations et le respect que nous nous devons les uns aux autres, c’est chose grandement juste et honnête ; et de même, la réciproque et légitime satisfaction des époux au saint mariage est appelée par saint Paul devoir[7], mais devoir si grand qu’il ne veut pas que l’une des parties ne puisse s’en exempter sans le libre et volontaire consentement de l’autre, non pas même pour les exercices de la dévotion[8], ce qui m’a fait dire le mot que j’ai mis au chapitre de la sainte communion à ce sujet ; combien moins donc peut-on s’en exempter pour des buts capricieux de vertu ou pour les colères et dédains !

3. Comme ceux qui mangent pour le devoir des mutuelles relations doivent manger librement et non comme par force, et de plus essayer de témoigner de l’appétit, aussi le devoir nuptial doit être toujours rendu fidèlement, franchement[9], et de même comme si c’était avec espérance de la production des enfants, encore que pour quelque occasion on n’eût pas telle espérance.

4. Manger non point pour les deux premières raisons mais simplement pour contenter l’appétit, c’est chose supportable, mais non pas pourtant louable ; car le simple plaisir de l’appétit sensuel ne peut être un objet suffisant pour rendre une action louable, cela suffit bien si elle est supportable.

5. Manger non point par simple appétit mais par excès et dérèglement, c’est chose plus ou moins blâmable, selon que l’excès est grand ou petit.

6. Or, l’excès du manger ne consiste pas seulement en la trop grande quantité, mais aussi en la façon et manière de manger. C’est un fait remarquable, chère Philothée, que le miel si propre et salutaire aux abeilles puisse néanmoins leur être si nuisible que quelquefois il les rend malades, comme quand elles en mangent trop au printemps ; car cela leur donne le flux de ventre, et quelquefois il les fait mourir inévitablement, comme quand elles sont emmiellées par le devant de leur tête et de leurs ailerons.

À la vérité, le commerce[10] nuptial qui est si saint, si juste, si recommandable, si utile à la république, est néanmoins en certain cas dangereux à ceux qui le pratiquent ; car quelquefois il rend leurs âmes grandement malades de péché véniel[11], comme cela arrive par les simples excès ; et quelquefois il les fait mourir par le péché mortel, comme cela arrive lorsque l’ordre établi pour la production des enfants est violé et perverti ; auquel cas, selon qu’on s’égare plus ou moins de cet ordre, les péchés se trouvent plus ou moins exécrables, mais toujours mortels. Car puisque la procréation des enfants est la première et principale fin du mariage, jamais on ne peut librement se départir de l’ordre qu’elle requiert, quoique pour quelque autre accident[12] elle ne puisse pas pour lors être effectuée, comme cela arrive quand la stérilité ou la grossesse déjà survenue empêche la production et génération ; car en ces occurrences le commerce corporel ne cesse pas de pouvoir être juste et saint, moyennant que les règles de la génération soient suivies, aucun accident ne pouvant jamais préjudicier à la loi que la fin principale du mariage a imposée.

Certes, l’infâme et exécrable action qu’Onan faisait en son mariage était détestable devant Dieu, ainsi que le dit le texte sacré du trente-huitième chapitre de la Genèse[13] ; et bien que quelques hérétiques de notre âge, cent fois plus blâmables que les Cyniques[14] dont parle saint Jérôme[15] sur l’Épître aux Éphésiens[16], aient voulu dire que c’était l’intention perverse de ce méchant qui déplaisait à Dieu, l’Écriture toutefois parle autrement et assure en particulier que la chose même qu’il faisait était détestable et abominable devant Dieu.

7. C’est une vraie marque d’un esprit truand, vilain, abject[17] et infâme, de penser aux aliments et à la mangeaille avant le temps du repas, et encore plus, quand, après celui-ci, on s’attarde au plaisir que l’on a pris à manger, s’y entretenant par paroles et pensées, et vautrant son esprit dans le souvenir de la volupté que l’on a eue en avalant les morceaux : comme font ceux qui avant dîner tiennent leur esprit en broche[18], et après dîner dans les plats ; gens dignes d’être souillards de cuisine[19] qui font, comme dit saint Paul, un dieu de leur ventre[20].

Les gens d’honneur ne pensent à la table qu’en s’asseyant, et après le repas se lavent les mains et la bouche pour n’avoir plus ni le goût ni l’odeur de ce qu’ils ont mangé. L’éléphant n’est qu’une grosse bête, mais la plus digne qui vive sur la terre et qui a le plus de sens. Je veux vous dire un trait de son honnêteté : il ne change jamais de femelle et aime tendrement celle qu’il a choisie, avec laquelle néanmoins il ne s’accouple que de trois ans en trois ans, et cela pour cinq jours seulement et si secrètement que jamais il n’est vu en cet acte ; mais il est bien vu pourtant le sixième jour où, avant toutes choses, il va droit à quelque rivière en laquelle il se lave entièrement tout le corps, sans vouloir aucunement retourner au troupeau, [sans] qu’il ne se soit auparavant purifié. Ne sont-ce pas de belles et honnêtes humeurs d’un tel animal, par lesquelles il invite les mariés à ne point demeurer engagés d’affection[21] aux sensualités et voluptés que selon leur vocation ils auront exercées, mais, celles-ci passées, de s’en laver le cœur et l’affection et de s’en purifier au plus tôt pour, après, avec toute liberté d’esprit, pratiquer les autres actions plus pures et relevées.

En cet avis consiste la parfaite pratique de l’excellente doctrine que saint Paul donne aux Corinthiens[22] : Le temps est court, dit-il, reste que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant point. Car, selon saint Grégoire[23], celui-là a une femme comme n’en ayant point, qui prend tellement les consolations corporelles avec elle que pour cela il n’est point détourné des prétentions spirituelles ; or, ce qui se dit du mari s’entend réciproquement de la femme. Que ceux qui usent du monde, dit le même Apôtre, soient comme n’en usant point[24]. Que tous donc usent du monde, chacun selon sa vocation, mais en telle sorte que, n’y engageant point l’affection, on soit aussi libre et prompt à servir Dieu comme si l’on n’en usait point. « C’est le grand mal de l’homme, dit saint Augustin, de vouloir jouir des choses desquelles il doit seulement user, et de vouloir user de celles desquelles il doit seulement jouir. »

Nous devons jouir des choses spirituelles et seulement user des corporelles, desquelles quand l’usage est converti en jouissance, notre âme raisonnable[25] est aussi convertie en âme brutale et bestiale.

Je pense avoir tout dit ce que je voulais dire, et fait entendre, sans le dire, ce que je ne voulais pas dire.

Saint François de Sales (1567-1622),

Introduction à la vie dévote, troisième partie, chapitre XXXIX


[1] Honnêteté : dans le sens de pureté. Au XVIIe siècle, honnête signifiait propre.

[2] He 13, 4 : « Que le mariage soit honoré de tous, que l’union conjugale ne soit pas profanée, car les débauchés et les adultères seront jugés par Dieu. » N.B. Dans les notes, les citations bibliques utilisent la traduction de l’AELF.

[3] Désigne l’heure de la chute originelle au jardin d’Eden.

[4] Concupiscence : attirance naturelle de l’homme pour les biens terrestres, impliquant un dérèglement des sens et de la raison, conséquence du péché originel ; sens courant : désir très vif des plaisirs sensuels (www.cnrtl.fr).

[5] Déshonnête : impure.

[6] Honteuses : dans le sens de sexuelles (cf. l’expression parties honteuses).

[7] 1 Co 7, 3 : « Que le mari remplisse son devoir d’époux envers sa femme, et de même la femme envers son mari. »

[8] 1 Co 7, 5 : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre, si ce n’est d’un commun accord et temporairement, pour prendre le temps de prier et pour vous retrouver ensuite ; autrement, Satan vous tenterait, profitant de votre incapacité à vous maîtriser. »

[9] Franchement : avec sincérité, loyauté, sans dissimulation.

[10] Commerce : dans le sens de relation. Cf. SainteThérèse d’Avila qui définit l’oraison comme « un commerce intime d’amitié avec Dieu dont on se sait aimé ».

[11] Péché véniel : péché peu grave qui ne rompt pas la relation à Dieu, par opposition au péché mortel qui coupe la relation à Dieu, donc à la source de la vie ; en d’autres termes, celui qui commet un péché mortel refuse de recevoir la vie et le pardon de Dieu, d’où le caractère mortel du péché.

[12] Accident : dans le sens de circonstance.

[13] Gn 38, 8-10 : « Alors Juda dit à Onane : « Unis-toi à la femme de ton frère, pour remplir envers elle ton devoir de beau-frère : suscite une descendance à ton frère. » Mais Onane savait que la descendance ne serait pas à lui. Aussi, quand il s’unissait à la femme de son frère, il laissait la semence se perdre à terre, pour ne pas donner de descendance à son frère. Ce qu’il faisait déplu au Seigneur qui le fit mourir, lui aussi. » Le personnage d’Onan ou Onane a donné le mot onanisme.

[14] Les Cyniques sont les adeptes de la philosophie de Diogène, dans l’Antiquité grecque, pour qui la pratique de la vertu consiste à mépriser les conventions sociales dans le but de revenir à l’état de nature.

[15] Saint Jérôme (347-420), Père de l’Église et Docteur de l’Église, a traduit la Bible en latin, traduction que l’on appelle la Vulgate.

[16] Eph 5, 3 : Comme il convient aux fidèles, la débauche, l’impureté sous toutes ses formes et la soif de posséder sont des choses qu’on ne doit même plus évoquer chez vous.

[17] Abject : abaissé.

[18] Ils pensent à ce qui est en train de rôtir.

[19] Valets de cuisine. Cf. souillon.

[20] Ph 3, 19 : Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre.

[21] Le mot affection est un mot-clé du vocabulaire spirituel du XVIIe siècle : il désigne ce à quoi l’on est attaché, l’attachement, ou encore la volonté.

[22] 1 Co 7, 29 : Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme.

[23] Grégoire Ier dit Grégoire le Grand (540-604), Père de l’Église et Docteur de l’Église comme saint Jérôme, saint Ambroise de Milan et saint Augustin d’Hippone, fut pape de 590 à sa mort. C’est deux siècles plus tard que l’on appela le chant liturgique chant grégorien en son honneur, bien qu’il n’en soit pas directement à l’origine.

[24] 1 Co 7, 31.

[25] Raisonnable : douée de raison, au sens fort.

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David Laurent
Né d'un père érudit et d'une mère poète et traductrice, il n’en a pas fallu plus à David Laurent pour apprécier dès l'enfance le goût des mots puis mûrir la passion de les transmettre. Marié et père de famille, il est membre de l'association Saint-Jean-de-la-Croix au sein de laquelle il a découvert un trésor trop caché : les textes des grands auteurs mystiques occidentaux, des plus illustres aux plus méconnus. https://francoisdesales.wixsite.com/correspondance

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