« Notre Père, Pater » : la première référence à Dieu est la paternité et non la royauté. Autrement, Jésus aurait enseigné à dire « Notre Roi, qui es aux Cieux… ». On peut voir déjà qu’ici, dans le déroulé de la prière enseignée en modèle par le Christ, paternité prime, royauté succède. Autrement dit, dans l’ordre spirituel, la paternité précède la royauté et la sous-tend. Dès lors, dans le champ et l’ordre spirituel, on ne peut – à l’image de Dieu – être roi sans être père alors qu’au temporel, nombreux sont les exemples de rois qui ne furent pas père (au sens biologique du terme) : Baudouin, roi lépreux de Jérusalem, Baudouin de Belgique ne sont que deux exemples parmi d’autres.
Mais ensuite :
« [que Ton Nom soit sanctifié], que Ton règne vienne… » : les baptisés qui sont, d’une certaine manière, les sujets de Dieu, prient dans cette prière enseignée par Jésus, non pas que le Royaume advienne, mais que Son règne vienne. Vu que la distinction des mots « royaume » et « règne » est ténue, voire inopérante, on peut penser que Jésus emploie le mot « règne » plutôt que « royaume » parce que le premier signifie une réalité agissante une réalité opérante, une réalité effective de laquelle découle, naturellement, le second qui, dès lors, n’est plus une réalité abstraite, théorique, mais vivante et incarnée…
Jésus enseigne donc à ses disciples et à toute la suite des disciples (les membres de l’Eglise) qu’il faut espérer (et donc faire en sorte, sinon à quoi bon espérer… !) que le règne de Dieu vienne, c’est-à-dire qu’il s’établisse sur la terre « comme au ciel », autrement dit qu’il s’établisse ici-bas comme il est établi Là-Haut : à cet égard, et pour cette raison, Jésus Lui-même nous demande de prier pour que l’ordre temporel respecte et s’ajuste à l’ordre spirituel et divin.
En enseignant cela, en priant de cette manière, Jésus invite peut-être indirectement les chercheurs de Dieu – les contemplatifs – à découvrir et à comprendre quel est cet ordre spirituel, cet ordre sacré (dont on peut assez vite comprendre, pour peu qu’on aime le Père, qu’il est le contraire du désordre), et aux hommes d’action ou aux actifs comment rendre le désordre temporel moins désordonné en s’inspirant de l’ordre plus haut (celui du Ciel et du Père). Chacun s’y retrouve puisqu’en tout contemplatif sommeille un actif et qu’en tout actif, sommeille un contemplatif.
Ce respect de l’ordre spirituel par l’ordre temporel, cet ajustement de celui-ci sur celui-là a toujours été (et sera toujours) imparfait. Même un éminent spécialiste de l’Histoire, héraut de la monarchie française, Jacques Bainville, a dit, en parlant de l’histoire de notre vieux pays : « Tout a toujours très mal marché »…
Et pourtant, le Héraut de Dieu, le Héros de Dieu, l’Eros de Dieu, invite chacun, dans la prière qu’il nous enseigne, à demander au Père que Son règne vienne.
Comment participer, à notre échelle, à la royauté sociale du Christ ?
On peut donc déceler dans cette prière du Pater une magnifique responsabilité de tous les baptisés (pas seulement les laïcs, pas seulement les clercs, mais TOUS les baptisés ensemble) en même temps qu’un honneur qui leur est fait, de participer à l’avènement du règne de Dieu et ipso facto de Son Fils, sur la terre, puisque le Père et le Fils ne font qu’un.
La grande question, pour tous les chrétiens, pour tous les baptisés, devient dès lors la suivante : « Comment faire en sorte que le règne de Dieu arrive et que Sa volonté soit faîte sur la terre comme elle l’est au Ciel ? »
Si cette question résume celle de la dimension temporelle du règne du Père, si cette question simplifie la délicate harmonisation du temporel vis-à-vis du spirituel, on le voit alors, la réponse est ultra simple et la mise en œuvre rare : il s’agit, par nos paroles et par nos actes, par notre style et par notre exemple, par nos décisions et par nos œuvres, de faire vivre la réalité attractive et attrayante de l’Amour qui doit s’incarner ici-bas à travers nos vies contagieuses.
C’est en devenant ainsi des porteurs et diffuseurs de lumière, de vraies lumières (pas celles que se sont arrogées les philosophes du XVIIIe siècle), que de cercles en cercles, de cénacles en cénacles, de familles en familles, la lumière du Royaume se (re)diffusera sur notre terre de France et que l’obscurité – voire les ténèbres épaisses – qui la recouvrent aujourd’hui laisseront place à une réalité nouvelle ou redécouverte : l’ajustement de l’ordre politique ou temporel à l’ordre divin.
C’est simple et titanesque à la fois ! C’est la recette éprouvée au long des âges et qui a fait le fortune des pays européens, en premier lieu de la France : une civilisation ne se (re)construit pas par un claquement de doigts ou de talons comme le croient les grands de ce monde. Elle s’érige et se fonde sur le temps long, sur le roulement de fond et la maturation des vertus à aimer, à pratiquer et à faire redécouvrir. « Courage, j’ai vaincu le monde », nous dit Jésus. Restons dans l’Espérance, il ne nous abandonnera pas en rase campagne… Et souvenons-nous à chaque instant, dans notre métier d’homme, dans nos activités de femmes, ces vers de Boileau qui clôtureront cette modeste réflexion :
» Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage «
Joseph Vallançon
Deux pistes de réflexion, en écho à ce qui précède :
- La royauté de saint Joseph : il est d’ascendance et de lignée royale (« fils de David ») : il a dû avoir une piètre opinion voire nourrir de la colère ou du ressentiment à l’égard des roitelets de Palestine. Hérode n’a-t-il pas voulu faire mourir son Fils adoptif lors du massacre des Saint Innocents ? Toute sa vie, saint Joseph n’a fait qu’obéir au Père éternel, au Roi éternel, à Yahvé. Toute sa vie, il l’a passée dans la discrétion et non pas sous les feux des projecteurs. Pourtant, n’aurait-il pas pu prétendre légitimement à plus de gloire temporelle ou mondaine en tant que descendant du roi David ? En tant qu’époux de la mère du Messie ? En tant que père adoptif du Seigneur des Seigneurs ? C’est par ses vertus et son humilité qu’a pu advenir le Seul Roi, le Seul Seigneur… N’oublions pas que le royaume de France lui a été consacré suite aux apparitions de Cotignac.
- La « royauté » de saint Louis Martin : le papa de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus n’était-il pas appelé affectueusement par ses filles : « Notre roi » ? La vraie paternité est royale ; la quintessence de la paternité est la royauté : diriger et gouverner en « bon père de famille » sa progéniture, c’est, d’une certaine manière, et lorsque cela est saintement accompli, être comme un roi pour les siens (comme la mère est reine pour les siens). Les enfants qui, à l’image des sœurs Martin, peuvent comparer leur père biologique à un « roi » (quand bien même s’y mêlerait une candide charge d’affection) peuvent voir dans ce petit roi temporel et familial, le reflet de la royauté céleste.


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