Sept hommes venus d’au-delà des mers ou des forêts, certains solitaires, d’autres bâtisseurs. Tous portaient dans leur cœur la même certitude : la terre armoricaine devait être offerte au Christ. Sept évêques, sept pays, une foi. Dans un monde qui prêche la fusion sans union, l’horizontal sans enracinement, leur exemple nous enseigne ceci : ce n’est pas l’uniformité qui sauve, mais l’unité fidèle.
Composer avec les croyances locales
Il est l’un des plus effacé des sept, et pourtant, il fut le premier. Corentin, né au IVe siècle en Cornouaille, vivait en ermite dans la forêt de Névet, se nourrissant d’un seul poisson, que Dieu renouvelait chaque jour en le faisant repousser. Inspirée de la mythologie bretonne, cette image était d’abord pédagogique sur l’amour de Dieu. Lorsque le roi Gradlon découvre ce saint homme, il le fait évêque. Corentin accepte, mais reste avant tout un homme de Dieu. Son diocèse devient celui de Quimper, un pays alors pétri de magie et de cultes, qu’il a su transformer dans le mystère du Christ.
Au Ve siècle, un saint homme nommé Patern se fit remarquer lors du Concile de Vannes. Les Bretons adoptèrent cette figure spirituelle jusqu’à l’intégrer dans leurs contes : il aurait rencontré les chevaliers de la table ronde, dont Caradoc qui l’aurait mené à Vannes. Il en devint le premier évêque, au contact d’un peuple dur, divisé entre partisans du christianisme celto-insulaire et défenseurs d’une tradition gallo-romaine. Face à cette dualité, il agit comme artisan d’unité, tentant de concilier deux visions de la foi chrétienne. Réfractaires, les Vannetais l’exilent finalement jusqu’à son décès, s’attirant des sécheresses et une famine qui ne cesseront qu’au retour de sa dépouille.
Brieuc vient de plus loin : né au Pays de Galles, formé en Irlande, mais ordonné prêtre par saint Germain, évêque d’Auxerre. Il ne se contente pas de prêcher : il fonde un monastère, une école, forme des clercs, organise une Église. Attaqué par des loups, il les dompte aisément, à l’image de sa capacité à évangéliser les pécheurs. Il devient le premier évêque du diocèse qui porte son nom. À travers lui, l’évangélisation prend forme durable. Tout comme ses confrères Corentin et Patern, il n’a cependant pas affronté le paganisme comme un ennemi à détruire, mais comme une nature à féconder.
Évangéliser un peuple de marins
En Bretagne, la terre ne suffit pas : il faut aussi parler aux marins.
Malo, d’origine galloise, suit la grande vague missionnaire celte vers l’Armorique. Il vit d’abord en ermite sur l’île de Cézembre (au large de Saint Malo), priant et travaillant au rythme de la mer. Mais sa réputation de sainteté attire ; il revient sur le continent, fonde une Église, un monastère, une cité. Il devient le premier évêque d’Alet, ancêtre de Saint-Malo. Sa vie est traversée de signes qui parlent aux hommes de la mer : on dit qu’il calma les eaux déchaînées par la prière, alors que les pêcheurs étaient en péril. Sa foi s’adresse aux égarés, sans céder à l’instabilité. Son impact se mesure au soin accordé à ses reliques, notamment lors des invasions normandes trois cent ans plus tard.
Pol Aurélien, lui, est tout autant ancré dans les mers bretonnes. Il débarque à Ouessant, puis gagne le Léon, où il devient l’apôtre du nord-ouest de la péninsule. Il y fonde un évêché, mais demeure avant tout un combattant spirituel. On raconte notamment qu’il fut appelé à terrasser un dragon qui terrorisait la région : il s’y rend, l’enchaîne avec son étole, et le noie dans la mer. Le mythe exprime la lutte du saint contre les anciennes terreurs païennes. Pol Aurélien n’évangélise pas à distance : il entre dans l’arène, les pieds dans l’eau et le regard fixe. Ces deux saints montrent une même vérité : l’Évangile est un phare pour tous, pas seulement les terriens mais aussi les marins égarés.
Unifier sous une seule foi
Dans un monde fragmenté, Dieu ne sème pas la confusion mais l’unité. Rendons hommage à deux bâtisseurs, qui consolidèrent l’architecture spirituelle bretonne : Samson et Tugdual.
Samson est d’abord moine, abbé à l’abbaye de Caldey. Puis il quitte les îles anglaises et rejoint Dol, dont il deviendra le premier évêque. Invité au concile de Paris en 556, il y représente la Bretagne chrétienne naissante, et fait rentrer cette région dans la communion des Églises. Sa légitimité lui permet même de traiter directement avec le Roi de France, incarnant un certain style de gouvernement ecclésial : attentif et ferme mais jamais dominateur. Artisan d’une communion sans centralisme, il est connu du Finistère à Orléans, où ses reliques reposent dans une abbaye éponyme.
Tugdual, lui aussi venu de Grande-Bretagne, arrive dans le Trégor avec un groupe de moines pour fonder l’Église de Tréguier. Il incarne une autre forme d’unification : celle opérée par le travail commun, la vie liturgique, la stabilité monastique. Moins politique que Samson, son œuvre n’est pas moins décisive : en faisant de Tréguier un centre religieux vivant, il lie les communautés rurales par la prière commune, l’étude, la charité. Le monastère devient un point de repère, un havre de paix, un cœur qui bat pour tout un territoire. À travers Tugdual, la foi chrétienne s’étend dans une unité consentie autour de l’autel. Son impact spirituel fut tel qu’il a même été proposé pour être pape !
Sept saints pour une seule Église
Ainsi, les premiers évangélisateurs de Bretagne n’ont pas effacé d’un trait les croyances ancestrales : ils ont patiemment semé l’Évangile dans le sol païen. De la mer à la terre, et de la terre au Ciel, ils ont créé des liens qui dépassèrent les anciens rites et ont apporté le Salut sur la terre celtique.
Grâce à eux, les sept pays de Bretagne deviennent sept diocèses, non pas en rivalité mais en résonance. Leur exemple, encore aujourd’hui, pose une question simple : voulons-nous bâtir un chacun-pour-soi ou un ensemble ordonné ? Une foi dispersée ou une Église enracinée ? Nous évangéliserons par l’exemple, et serons reconnus à l’amour que nous aurons les uns pour les autres.
Christophe de Guibert
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