Exercer ses talents : une expérience libératrice !

par | 17 Déc 2023 | Travailler | 0 commentaires

La parabole des talents enseignée par le Christ (Mt 25, 14-30) peut être dure à entendre et à mettre en pratique. Comment donc accueillir cet enseignement de Jésus dans notre vie et dans notre métier ? Christophe Dubreuil, menuisier, éclaire l'enjeu de cette parabole pour les hommes qui souhaitent s’accomplir.

La parabole des talents peut renvoyer vers un certain découragement. D’après le texte, la figure du maitre y évoque un Dieu dur. Il s’en va loin, demande une rente… Apparemment absent lors de l’effort de fructification, ce maître n’en semble pas l’auteur, mais il en exige pourtant le dû, sans égards notables pour les efforts déployés par le dépositaire du talent. Toute sa difficulté se résume en ces quelques mots sortis de la bouche du mauvais serviteur : « Tu es un homme dur et tu moissonnes où tu n’as pas semé » !

Ces paroles constituent un défi pour notre intelligence et posent la question de la teneur de notre foi.  A certains moments de l’existence, d’après de multiples témoignages, elles peuvent résonner avec insistance, comme un appel dont les tenants et aboutissants restent encore obscurs et peuvent susciter jusqu’au sentiment de sa propre insuffisance. Pour certains, elles renvoient même à une blessure, celle de la confiance en soi. Peut-on pourtant accepter de penser que Dieu est « un homme dur », et pourrait-on, à la suite de cette parabole, le réduire à un Maître qui « moissonne où il n’a pas semé » ?

Le talent, un point de brillance

Dans notre langue, le talent exprime bien ce qu’il est : quelque chose d’inné, que nous avons reçu. Il n’est pas quelque chose que l’on découvre par soi-même. Dans le concret de nos vies, il se manifeste généralement comme un point de « brillance », que les autres nous révèlent. Ainsi d’une facilité, qui nous est propre et spécifique, à concevoir, produire ou réaliser ; pour l’architecte, il s’agira d’une maison harmonieuse et fonctionnelle, pour un avocat, d’une aptitude à capter la compassion d’un auditoire, à émouvoir… pour un décorateur, une capacité à créer une atmosphère intérieure, etc. Sur un plan psychologique, le talent se révèle comme une chose exécutée facilement, sans se fatiguer, à l’inverse de ceux dépourvus de ce talent.   Que ce soit dans le cadre des loisirs ou dans celui de la vie professionnelle, son exercice est reconnu comme vecteur de bien : il contribue à une certaine forme de paix et d’épanouissement, pour soi-même d’abord, puis pour les autres.

Aussi, l’exercice des talents étant ce qui nous réalise, nous construit et fait du bien, peut-on vraiment prétendre que l’appel du maître à les exercer (car il ne s’agit pas d’autre chose) est l’appel d’un maître loin de tout, sans égards pour notre condition ? Peut-on vraiment affirmer que le maître moissonne où il n’a pas semé, sans amour pour sa créature ?

Une invitation aux vertus libératrices

L’une des difficultés peut résider dans le fait que ce passage constitue une exhortation à l’activité. Cela peut évoquer dans l’imaginaire tout ce que l’action présente de difficile : esprit d’entreprise, prise de risques variés, engagement physique, moral, financier, psychique, requérant des compétences diverses… Mais cela peut aussi résonner comme une invitation plus simple. Entendue comme une exhortation à l’activité de manière générale, sans exigence de maîtrise ou d’excellence, cette parabole peut révéler à son auditeur des vertus libératrices… Être actif, tâcher de répondre à un appel, pour lequel nous n’avons aucune obligation de résultat, sans recherche fiévreuse compliquée, peut apporter plus tard le bonheur, dont il n’est pourtant pas parlé dans ce passage…

A ce sujet, une remarque s’impose. Selon les tempéraments et le penchant naturel à l’action, la réponse à l’appel de cette parabole sera plus ou moins aisée… Un entrepreneur né, porté à l’action, partira probablement favorisé devant la demande de faire fructifier ses biens (ses talents), au contraire d’un intellectuel pour qui l’action reste imparfaite et dont le penchant contemplatif premier reste objet de correction par la vertu toute la vie…

Le bonheur de s’accomplir

Si devant une telle parabole, des inégalités liées aux données initiales du tempérament se présentent, la difficulté peut donc être bien réelle pour certains. Mais Dieu, en bon Père, veut aussi notre croissance, notre autonomie et que nous parvenions à la stature de l’homme accompli, dans tout ce que cela signifie. Il dispose les choses afin que, nos efforts aidant, la croissance vienne aussi de nous-mêmes. Pourrait-il, sans cette collaboration de notre part, donner plus tard à notre cœur et à notre psychisme cette estime de soi nécessaire ? Et sans cela, pourrait-il donner à ses créatures ce qu’il veut pour elles, c’est à dire le bonheur d’être plus accomplies et plus en phase avec elles-mêmes, fières d’avoir franchi des étapes ? Ses créatures seront-elles reconnaissantes d’être bien entrées dans le bain de la vie, avec la grâce de Dieu, s’il n’y avait eu initialement pour cela, « apport » de leur part ?

Ainsi le mauvais serviteur, devenu bon, pourra se rendre compte que l’appel apparemment dur et lointain, était en réalité motivé par un amour qui le dépasse, bienfaisant et sage.

Christophe Dubreuil

Partagez l'article
Christophe Dubreuil
Ayant débuté comme officier dans l'armée de terre, Christophe Dubreuil est aujourd'hui artisan menuisier, à Rennes, où il a créé son entreprise avec un associé en 2017. Marié, père de trois filles, il est engagé dans la communauté de l'Emmanuel et reste particulièrement intéressé par la question des talents et de l'orientation.

Soutenez notre aventure !

Pour rester libre et indépendant, et pour financer le travail de chaque auteur, nous vous proposons de faire un micro-don à ce dernier. Merci pour votre pourboire !

Vous aimerez aussi…

Oct 17 2025

Le rôle du père, modèle et pilier

Un père qui fait peur ou un père qui disparaît, ça ne fait pas un homme, ça fait des dégâts. Et si on reprenait les choses à la base ? Être père, ce n’est pas un titre, c’est une...
Oct 14 2025

Il fut roi puis empereur : l’homme  providentiel par excellence.

La monarchie française, placée sous le regard divin, n’est pas qu’une histoire de dynasties. Lorsque c’est véritablement Dieu qui désigne son bras armé, cela transforme un homme...
Oct 10 2025

Virilité et amitié : la fraternité au cœur de l’homme

Un homme seul s’effondre. Un homme entouré se relève. Cette chronique réveille en nous la soif d’amitiés vraies, celles qui tirent vers le haut, corrigent sans flatter et...
Oct 03 2025

Comment aimer en vérité ?

Oubliez les violons : l’amour viril, c’est du roc. Ni fusion, ni domination, mais don libre, enraciné dans la Trinité. Le Christ n’a pas aimé du bout des lèvres : Il a donné sa...
Sep 26 2025

L’humour et la joie virile

Et si le rire était une arme de saints ? La joie n’est pas une échappatoire, c’est une manière de combattre. Inclassable, indomptable, elle renverse les logiques du monde. Un...
Sep 23 2025

L’illusion d’“être soi”

“Être soi-même” est devenu un mot d’ordre contemporain, repris dans l’entreprise comme dans les sphères privées. Et si cette injonction à la transparence ouvrait sur une autre...
Sep 19 2025

Les pièges de la société de consommation : addictions et distractions.

Tout semble facile, tout paraît doux… et c’est là que nous nous perdons. Sans bruit, nous nous étirons dans un confort qui nous émousse, nous cédons à des plaisirs qui nous...
Sep 17 2025

Les saints qui ont fait la France : évangéliser la Bretagne.

« Il y a diversité de dons, mais le même Esprit ; diversité d’opérations, mais le même Dieu » (1 Corinthiens). Ainsi, quand la Bretagne fut évangélisée, ce fut au cœur des sept...
Sep 15 2025

Néophytes et « recommençants » : l’ Église face au défi de l’intégration.

Si le nombre de catéchumènes ne cesse d’augmenter en France, l’Église peine à retenir les néophytes. L’écart se creuse entre l’élan spirituel initial et l’expérience ecclésiale...
Sep 12 2025

L’importance du sport et de la vigueur physique

Tu soulèves des poids, mais sais-tu te porter toi-même ? La vigueur n’est pas dans les muscles, mais dans ce que tu fais de ta force. Entre l’idole du corps et la paresse molle,...
Sep 10 2025

Général Philippe Aumonier : « Il n’y a aucune raison de désespérer aujourd’hui quand on voit toutes les périodes difficiles qu’a traversées notre histoire ».

Père, grand-père et arrière-grand-père, le général Philippe Aumonier a passé la majeure partie de sa carrière au sein de l’Armée de Terre. Il a ensuite rejoint le civil pour...
Sep 08 2025

L’art du saumon ou le moyen de devenir un vrai homme

Et si la vrai liberté (celle qui rend heureux et stable) n’était pas celle de faire tout ce que l’on veut ? Tel un saumon à contre-courant – de son époque -, l’homme...
Sep 05 2025

La solitude féconde

Tu veux tenir debout ? Apprends à être seul. Le bruit du monde t’endort, la solitude te réveille. Dans le retrait, pas d’échappatoire : juste toi, Dieu… et la vérité que tu fuis...
Sep 02 2025

« Il n’y a pas de génération Z ingérable, seulement une éducation à réinventer »

Anxiété, instabilité, perte de repères : la génération Z inquiète. Et si le vrai problème n’était pas cette jeunesse, mais l’effondrement du cadre éducatif – notamment celui...
Août 29 2025

Humilité et grandeur : l’équilibre du guerrier pacifique

Peut-on être fort sans écraser, humble sans disparaître ? Entre le panache du chevalier et le silence du serviteur, un chemin secret s’ouvre : celui de l’homme qui règne en se...

Commentaires

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *