De Saint-Cyr à la menuiserie en passant par le séminaire, récit d’une mue.

par | 2 Oct 2023 | Travailler | 0 commentaires

Tour à tour officier, séminariste et désormais menuisier, Christophe Dubreuil, 41 ans, témoigne du fil directeur de sa vie et de la façon dont il a trouvé aujourd’hui sa voie. Récit d’un itinéraire atypique pour ceux qui se cherchent encore.

Dans les catégories de métiers recensées par les cabinets d’orientation[1], se trouve la catégorie dite des « réalistes ». L’homme qui a besoin de mesurer ce qu’il fait, de se dépenser physiquement, qui aime contempler le fruit de son travail et qui apprécie le plein air est de ce type-là. Ces constantes le caractérisent en tout ou en partie. C’est l’architecte, les travaux terminés, qui contemple l’immeuble qu’il a conçu, ou l’agriculteur qui regarde avec satisfaction les amas de grains à la fin de la moisson.

Dans mon parcours, longtemps, je n’ai pas perçu de cohérence. Un bilan de compétence est venu m’aider à en trouver, après dix ans de vie professionnelle.

De l’armée au séminaire


Lorsqu’en 3e j’ai demandé à mon père de faire de la menuiserie, celui-ci, tout en m’emmenant faire des stages, m’a dit : « Tu as des capacités, tu pourrais faire des études générales et voir après ». Attiré alors par la dépense physique et les valeurs d’engagement militaires, l’armée se présentait à moi comme une voie répondant à mes aspirations. En six ans, ayant été entrainé à vivre cette première expérience à fond, j’ai compris cependant que mon fort n’était pas d’abord d’être un chef.

Être prêtre ? Le décès récent de mes deux parents, le mariage de mon frère et l’engagement de ma sœur dans la voie religieuse me donnaient un sentiment de solitude douloureux… J’entre alors au séminaire, où j’ai été nourri intellectuellement, ce qui, je l’ai su plus tard, correspondait à ma deuxième composante en termes d’aspirations, toujours selon la typologie évoquée plus haut. Mon appétit pour la vérité et sa découverte en était satisfait. Mais mon cœur souffrait encore de solitude, à quoi se mêlait un sentiment d’échec et d’amertume, notamment à l’égard de mon expérience militaire… Mes supérieurs, qui l’avaient décelé, ne jugeaient pas bon de m’encourager dans cette voie.

La traversée du désert


A Paris, dans les deux années qui suivirent, je ne parvenais pas à retrouver de travail, surtout du fait d’idées fausses sur moi-même dont j’étais malheureusement pétris. J’avais été cadre, il fallait donc que je retrouve des fonctions de cadre… Je ne devais pas dégringoler sur une prétendue échelle sociale ! Mais je n’obtenais pas de réponses à mes candidatures ; je végétais… et mon oisiveté devenait malsaine et source d’égarements… « Fais ce que tu veux, mais d’ici trois mois, il faut que tu aies retrouvé un boulot, ou repris une formation » m’avait alors soufflé un ami. La nécessité de réagir me poussait à trouver des solutions. L’une d’entre elle, facile d’accès, était de commencer une formation en menuiserie. Elle se situait bien en dehors des prétentions qui m’habitaient. J’entrepris donc de contacter une école à cette fin, ce que je fis d’abord sans grand enthousiasme.

Une joie jamais éprouvée jusqu’alors


Lorsque sont arrivés par la suite les moments où j’ai commencé à me sentir à ma place, c’est la joie et le bonheur de vivre, longtemps absents, qui me l’ont manifesté. Le soir, dans mon lit, après une journée de travail comme salarié en menuiserie, je me souviens que je jubilais intérieurement d’une joie très vive, que jamais je n’avais éprouvée jusqu’alors. J’avais aussi eu la chance, après ma formation, d’avoir été embauché par une entreprise aux valeurs humaines très bénéfiques, de taille familiale. Je n’éprouvais plus dès lors la nécessité de changer d’orientation.

Ainsi, pour avoir démarré dans une certaine douleur  ̶  celle qui vient de la méconnaissance de soi  ̶, mon parcours s’est stabilisé dans la voie de l’artisanat, ce qui n’a pu se faire sans le passage par une certaine honnêteté intellectuelle vis-à-vis de moi-même, à l’écoute des autres… C’est aussi le fait de m’être tourné vers la vérité, (et une vérité joyeuse, qui s’est révélée et découverte à moi, vers laquelle les autres m’entrainaient) qui a permis à tout cela de se réaliser.

Christophe Dubreuil


[1] Voir la typologie de Holland : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_RIASEC

Partagez l'article
Christophe Dubreuil
Ayant débuté comme officier dans l'armée de terre, Christophe Dubreuil est aujourd'hui artisan menuisier, à Rennes, où il a créé son entreprise avec un associé en 2017. Marié, père de trois filles, il est engagé dans la communauté de l'Emmanuel et reste particulièrement intéressé par la question des talents et de l'orientation.

Soutenez notre aventure !

Pour rester libre et indépendant, et pour financer le travail de chaque auteur, nous vous proposons de faire un micro-don à ce dernier. Merci pour votre pourboire !

Vous aimerez aussi…

Oct 17 2025

Le rôle du père, modèle et pilier

Un père qui fait peur ou un père qui disparaît, ça ne fait pas un homme, ça fait des dégâts. Et si on reprenait les choses à la base ? Être père, ce n’est pas un titre, c’est une...
Oct 14 2025

Il fut roi puis empereur : l’homme  providentiel par excellence.

La monarchie française, placée sous le regard divin, n’est pas qu’une histoire de dynasties. Lorsque c’est véritablement Dieu qui désigne son bras armé, cela transforme un homme...
Oct 10 2025

Virilité et amitié : la fraternité au cœur de l’homme

Un homme seul s’effondre. Un homme entouré se relève. Cette chronique réveille en nous la soif d’amitiés vraies, celles qui tirent vers le haut, corrigent sans flatter et...
Oct 03 2025

Comment aimer en vérité ?

Oubliez les violons : l’amour viril, c’est du roc. Ni fusion, ni domination, mais don libre, enraciné dans la Trinité. Le Christ n’a pas aimé du bout des lèvres : Il a donné sa...
Sep 26 2025

L’humour et la joie virile

Et si le rire était une arme de saints ? La joie n’est pas une échappatoire, c’est une manière de combattre. Inclassable, indomptable, elle renverse les logiques du monde. Un...
Sep 23 2025

L’illusion d’“être soi”

“Être soi-même” est devenu un mot d’ordre contemporain, repris dans l’entreprise comme dans les sphères privées. Et si cette injonction à la transparence ouvrait sur une autre...
Sep 19 2025

Les pièges de la société de consommation : addictions et distractions.

Tout semble facile, tout paraît doux… et c’est là que nous nous perdons. Sans bruit, nous nous étirons dans un confort qui nous émousse, nous cédons à des plaisirs qui nous...
Sep 17 2025

Les saints qui ont fait la France : évangéliser la Bretagne.

« Il y a diversité de dons, mais le même Esprit ; diversité d’opérations, mais le même Dieu » (1 Corinthiens). Ainsi, quand la Bretagne fut évangélisée, ce fut au cœur des sept...
Sep 15 2025

Néophytes et « recommençants » : l’ Église face au défi de l’intégration.

Si le nombre de catéchumènes ne cesse d’augmenter en France, l’Église peine à retenir les néophytes. L’écart se creuse entre l’élan spirituel initial et l’expérience ecclésiale...
Sep 12 2025

L’importance du sport et de la vigueur physique

Tu soulèves des poids, mais sais-tu te porter toi-même ? La vigueur n’est pas dans les muscles, mais dans ce que tu fais de ta force. Entre l’idole du corps et la paresse molle,...
Sep 10 2025

Général Philippe Aumonier : « Il n’y a aucune raison de désespérer aujourd’hui quand on voit toutes les périodes difficiles qu’a traversées notre histoire ».

Père, grand-père et arrière-grand-père, le général Philippe Aumonier a passé la majeure partie de sa carrière au sein de l’Armée de Terre. Il a ensuite rejoint le civil pour...
Sep 08 2025

L’art du saumon ou le moyen de devenir un vrai homme

Et si la vrai liberté (celle qui rend heureux et stable) n’était pas celle de faire tout ce que l’on veut ? Tel un saumon à contre-courant – de son époque -, l’homme...
Sep 05 2025

La solitude féconde

Tu veux tenir debout ? Apprends à être seul. Le bruit du monde t’endort, la solitude te réveille. Dans le retrait, pas d’échappatoire : juste toi, Dieu… et la vérité que tu fuis...
Sep 02 2025

« Il n’y a pas de génération Z ingérable, seulement une éducation à réinventer »

Anxiété, instabilité, perte de repères : la génération Z inquiète. Et si le vrai problème n’était pas cette jeunesse, mais l’effondrement du cadre éducatif – notamment celui...
Août 29 2025

Humilité et grandeur : l’équilibre du guerrier pacifique

Peut-on être fort sans écraser, humble sans disparaître ? Entre le panache du chevalier et le silence du serviteur, un chemin secret s’ouvre : celui de l’homme qui règne en se...

Commentaires

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *