Comme il doit être agréable, du moins cela s’imagine, de sentir sur soi le regard flatteur d’un homme lorsqu’on est une femme. Comme cela doit galvaniser, immuniser contre les mille égratignures de l’existence, et faire bomber le torse. Comme si ces femmes que l’on admire se disaient en leur for intérieur : « je ne suis pas parfaite, je me trouve quelques kilos en trop, je croule sous la fatigue quand mes consœurs semblent tout mener de front, et je perds patience mille fois trop vite ; mais au moins je suis belle ». Mais si nos regards, à nous les hommes, ont bien cet effet (cette théorie reste à confirmer, surtout de nos jours), alors nous devons nous poser la question : à qui offrir ce cadeau, cette déférence du regard ? Il y a nos femmes, certes, mais il y en a d’autres ailleurs.
Oui, la passante sera ragaillardie par notre compliment silencieux. Oui, son orgueil sera flatté. Et oui, elle planera sur un petit nuage pendant quinze ou trente secondes, après nous avoir surpris à les admirer. Et ensuite ? Rien. Car nous ne sommes rien pour elle.
Si elles ont bel et bien envie de nos admirations (et comment le leur reprocher, orgueilleux que nous sommes, nous-mêmes), est-ce vraiment à elles qu’ils faut offrir nos regards pleins de tendresse ?
Nos épouses, elles, n’ont pas seulement envie de nos reconnaissances et de nos admirations : elles en ont vitalement besoin. Leurs vies, celles auxquelles elles ont librement consenti à nos côtés, sont d’impossibles propositions. Comment survivre à cette routine éreintante ? Comment respirer sous la contrainte permanente de n’être jamais mère assez bonne, épouse assez disponible, interlocutrice assez cultivée, travailleuse assez performante ?
Il nous appartient à nous, les hommes et leurs maris, ceux qui ont promis à l’aveugle de chercher sans relâche à les garder en équilibre jusqu’à ce que la mort ne les en sépare, de prononcer ces paroles – fût-ce avec les yeux – dont elles ont tant besoin pour trouver demain le courage de recommencer. C’est à nous de dire à nos femmes que, kilos en trop ou pas, faible estime de soi qu’elle advienne, au moins elles sont éternellement belles à nos yeux.
Sans cela, elles n’auront pas la force de se lever demain matin, et ce sera notre faute.
Adrian H. Brown
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