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Cet enregistrement est proposé par Paul de Launoy, comédien, auteur, metteur en scène et formateur. Père de six enfants, Paul de Launoy a suivi sa formation dramatique au Cours René Simon (Paris). Avec la compagnie ARGILIS qu’il a créée en 2018, avec Frédéric Hamaide, il travaille régulièrement sur des projets pour le théâtre. Il enseigne depuis quelques années à l’ICES (Vendée) et à l’EM-Normandie (Dublin).
Mes chers amis,
Il est des batailles que l’on livre sans armes, dans le secret d’une chambre close ou au creux d’une nuit désertique. Des batailles plus rudes que celles du monde, car elles engagent l’âme tout entière. La prière, mes frères, n’est pas un acte de faiblesse. Elle est un combat.
Nous avons appris à nous montrer forts dans l’action, efficaces dans le travail, courageux dans l’adversité. Mais combien d’entre nous savent encore tomber à genoux ? Combien osent encore prier comme on lutte, comme on aime, comme on pleure ? L’homme moderne a relégué la prière au rang des consolations pour âmes sensibles. Il se tient debout, fier, sec, autonome. Il oublie que le vrai guerrier commence par se mettre à genoux.
Jacob, l’homme qui lutte avec Dieu
Dans la Genèse, une scène fascinante nous est rapportée : Jacob passe une nuit seul, au gué du Yabboq, et un homme vient lutter avec lui jusqu’à l’aurore (Gn 32, 25-33). L’homme, figure de Dieu ou de son ange, ne réussit pas à terrasser Jacob. Mais il le blesse à la hanche, et Jacob en sort transformé. Il reçoit un nouveau nom : Israël, « celui qui a lutté avec Dieu ».
La prière est de cet ordre-là. Elle n’est pas une paisible conversation, mais une lutte. Non pas contre Dieu, mais avec Dieu. Elle fait craquer nos faux appuis, elle fait tomber les masques, elle touche notre faiblesse, notre orgueil, notre peur. Et pourtant, c’est là que Dieu nous bénit.
Prier comme un homme, ce n’est pas aligner des mots pieux. C’est oser tout dire à Dieu. C’est lui présenter sa colère, ses blessures, ses émerveillements, ses rêves et ses failles. C’est crier, supplier, se taire aussi. C’est rester là, tenace, même quand rien ne vient. C’est accepter d’être changé.
La prière n’est pas une récréation spirituelle. Elle est le lieu du dépouillement. Comme Jacob, nous ressortons souvent boiteux de nos nuits de prière. Mais nous en ressortons avec un nom nouveau, une force qui vient d’ailleurs, et un visage qui a vu Dieu.
La prière, exercice de virilité
Un homme qui prie est un homme qui ose affronter le réel. Il ne se cache pas derrière ses performances ou son activisme. Il reconnaît qu’il ne se suffit pas à lui-même. Qu’il a besoin de recevoir pour pouvoir donner.
Il faut de la force pour affronter son silence intérieur. Il faut du courage pour se mettre face à face avec Dieu. Il faut de l’humilité pour confesser ses fautes, et de la fidélité pour prier même quand Dieu se tait. Un homme qui prie, c’est un homme debout, parce qu’il s’est d’abord agenouillé.
Les psaumes sont pleins de cris, de larmes, de louanges et de combats. David, roi et guerrier, n’a jamais cessé de prier. Et Jésus lui-même, dans le jardin de Gethsémani, prie jusqu’à suer du sang. Là est le modèle ultime : le Christ, Fils de Dieu, entre en agonie non dans la fuite, mais dans la prière.
Vous croyez que prier, c’est pour les faibles ? Essayez donc de persévérer une heure chaque matin, de prier en famille le soir, de vous lever pour adorer en pleine nuit. Vous verrez où est la véritable force.
Comment prier virilement ?
L’homme viril ne parle pas de prière comme d’un refuge vague pour les faibles ou les émotifs. Il la vit comme un rendez-vous d’âmes, une montée quotidienne vers la lumière, un combat paisible mené dans l’ombre de son intériorité. Prier, ce n’est pas se retirer du monde, c’est y pénétrer plus profondément, avec le regard de Dieu. C’est accueillir, au cœur même du tumulte, une paix plus forte que l’agitation, une présence plus réelle que toute absence.
Mais comment prier en homme ? Comment prier non pas comme un automate psalmodiant des formules, mais comme un fils qui parle à son Père, un serviteur à son Maître, un frère à son Ami, un amoureux à son Bien-Aimé ? La réponse tient en un mot : fidélité.
Commencez, mes frères, par fixer un moment dans votre journée. Ne laissez pas la prière se glisser entre deux rendez-vous, comme une pièce que l’on jette au hasard dans la main d’un mendiant. Choisissez une heure — tôt le matin, au cœur du jour, ou dans le silence du soir — mais tenez-la comme on tiendrait un serment. L’homme viril sait que la liberté ne vient pas de l’errance, mais de la discipline. Il ne cède pas à l’humeur du moment, il bâtit son cœur comme une citadelle.
Ensuite, priez avec tout votre être. Mettez-vous à genoux. Faites lentement le signe de croix comme on trace sur soi le sceau d’un amour éternel. Posez un regard sur une icône, sur un crucifix, sur une flamme qui vacille. Car l’homme est un tout : âme et corps s’unissent pour offrir à Dieu leur louange. La posture du corps éclaire l’élan du cœur. Il n’est pas indifférent de se tenir debout ou prostré, les bras croisés ou les paumes ouvertes. Ce que fait le corps, l’âme le chante.
Mais surtout, soyez vrais. Ne cherchez pas à séduire Dieu par de belles phrases. Dites-lui ce que vous vivez. Parlez-lui comme à l’Ami qui connaît déjà tout, mais qui se réjouit que vous lui confiiez encore davantage. Mieux vaut un soupir sincère qu’un rosaire récité mécaniquement. « Seigneur, je n’en peux plus », crié dans le désespoir d’un soir, touche plus sûrement le cœur du Père qu’un psaume psalmodié sans amour.
Il existe plusieurs formes de prière, et toutes nourrissent la virilité chrétienne :
- La prière de demande, humble et confiante, où l’homme reconnaît qu’il ne se suffit pas à lui-même.
- La supplication, ardente et douloureuse, jaillie des nuits d’angoisse comme un glaive levé vers le ciel.
- L’action de grâce, joyeuse et virile, qui proclame la beauté de Dieu même au creux des épreuves.
- La prière de pardon, où l’homme, à genoux dans sa misère, relève la tête en recevant la miséricorde comme un baume.
- L’adoration, silencieuse et brûlante, où l’âme s’incline devant la majesté de son Créateur, sans rien attendre, pour le seul bonheur de l’aimer.
Toutes ces formes de prière ne sont que des chemins vers une seule réalité : l’intimité. Car la prière virile est cette capacité à se retirer intérieurement, même au cœur du tumulte, pour retrouver le Christ, et parler avec Lui comme avec un Ami. La prière ne commence ni ne finit avec les mots : elle est un état, une disponibilité, une fidélité d’amour.
C’est dans cette intériorité que l’homme puise sa force. C’est là, dans cette chambre secrète où personne ne le voit, qu’il devient invincible. L’homme de prière ne plie pas sous le vent du monde, car il s’appuie sur la roche. Il n’agit pas par réflexe, mais par discernement. Il ne fuit pas la douleur, mais il l’offre. Sa vie n’est pas épargnée, mais elle est orientée.
Ce face-à-face quotidien avec Dieu est la preuve d’un amour viril, parce qu’il demande régularité, persévérance, humilité. Il ne s’agit pas de ressentir quelque chose, il s’agit d’aimer. Aimer, c’est revenir. Chaque jour. Revenir au silence, revenir à l’écoute, revenir à la Source.
Et cette source, mes amis, ce n’est pas un effort moral. C’est un fleuve d’amour qui jaillit du cœur de la Trinité. Le Fils prie le Père dans l’Esprit, et nous sommes invités à nous glisser dans cette circulation d’amour éternel. La prière chrétienne est participation à ce mystère : elle prolonge en nous le mouvement d’offrande qui unit le Fils au Père.
Priez donc comme des hommes debout, les pieds sur terre et le cœur dans le ciel. Priez non pour fuir vos responsabilités, mais pour les assumer dans la lumière. Priez non pour être consolés, mais pour consoler. Priez non pour éviter le combat, mais pour y entrer avec des armes célestes.
Un défi pour cette semaine
- Trouvez un lieu et un moment où vous engager chaque jour pour prier, même brièvement. Que ce rendez-vous soit ferme, concret, non négociable.
- Lisez le récit de Jacob au gué du Yabboq (Gn 32, 25-33) et laissez-le résonner en vous. Quel est le combat que vous menez en ce moment ? Qu’attendez-vous de Dieu ? Osez lui dire.
- Priez à voix haute. Même seul. Mettez des mots à votre foi. Cela fortifie l’âme et ancre la prière dans le réel.
Un homme qui a une vie intérieure devient un homme capable d’aimer. Car il sait que sa force vient d’un Autre. Et c’est dans ce lien vivant avec Dieu que naît la virilité la plus vraie : celle qui se donne.
Fraternellement vôtre,
Dr XY

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