Nés entre 1995 et 2010, les jeunes de la génération Z ont grandi dans un monde numérique, instable et sans repères solides. On leur reproche leur inconstance, leur défiance envers l’autorité, leur difficulté à s’intégrer au monde professionnel. Les chiffres officiels brossent même un tableau plus précis. Selon l’INSEE, 1,5 million de jeunes sont sans emploi, ni formation, ni stage. Santé Publique France estime que 40 % souffrent d’anxiété ou de dépression. IPSOS note que 65 % d’entre eux ne font plus confiance aux institutions. Près d’un recruteur sur deux évoque leur manque de savoir-être comme principal frein à l’embauche, selon l’ANDRH (Association Nationale des DRH).
Mais ces jeunes ne sont pas “défaillants” : ils sont simplement le produit d’un environnement déstructuré. Absence de cadre éducatif, effacement des figures d’autorité (en particulier paternelles), surconnexion permanente. Ultra-connectés mais isolés, informés mais déracinés. Ils paient le prix d’un vide éducatif que trop peu osent combler.
Addict au porno, ce jeune de 20 ans s’est relevé
Là où un cadre clair est restauré, les jeunes reprennent pied. Des méthodes éducatives simples mais exigeantes transforment leur posture. Vie collective non choisie, horaires fixes, effort physique quotidien, travail manuel, et surtout : des adultes cohérents, qui incarnent ce qu’ils demandent.
Trois semaines sans téléphone dans un cadre structuré suffisent parfois à faire baisser les troubles anxieux. Plus de 80 % retrouvent un emploi ou une formation qualifiante dans les mois qui suivent. Pourquoi ? Parce que ces jeunes ne manquent pas de potentiel, mais d’un environnement qui les aide à l’activer. C’est ce que nous vivons concrètement depuis dix ans à l’association IRVIN. Les résultats sont souvent spectaculaires. Je pense à ce jeune de 20 ans, hyperactif (et comme près de 90 % des jeunes hommes aujourd’hui, addict à la pornographie, cette drogue banale mais dévastatrice) sous Ritaline (un médicament censé calmer son agitation, mais qui l’anesthésiait et l’empêchait d’apprendre à dompter cette force vitale qui bouillonnait en lui, comme si son tempérament était une maladie plutôt qu’une énergie à canaliser avec patience et persévérance). Il est arrivé en rupture totale avec l’école, incapable de se lever le matin, scotché à son téléphone, avec un humour d’ado attardé qui traduisait surtout son mal-être — et cela malgré une famille catholique aimante. Après seulement quelques semaines de vie rythmée par le lever matinal, l’effort physique et le travail manuel, il a repris confiance. Il a choisi de lui-même d’arrêter un traitement qu’il suivait depuis près de quinze ans, et il a redécouvert le goût de l’effort, mais aussi la joie simple de réussir quelque chose par lui-même. Quelques mois plus tard, il s’était engagé dans une formation de cuisinier et avait rejoint la réserve de l’armée de terre. Il n’était plus dans la dispersion ni l’amertume : il était devenu acteur de sa vie, loin du confort facile et du wifi parental.
Le rôle des hommes dans l’éducation
Ce redressement ne peut se faire sans les hommes. Pas de cadre sans autorité incarnée. Pas d’autorité sans présence virile, stable, cohérente. Le père qui fixe les limites, assume la frustration, donne l’exemple, est un repère fondamental. Pas besoin de superhéros, mais d’hommes fiables, présents, endurants.
Combien de jeunes que j’ai parfois réprimandés trop durement sont ensuite revenus me remercier. Je pense à ce garçon surpris à fumer du cannabis : il me jure, « sur la tête de sa mère », qu’il ne l’a pas fait, puis persiste dans son mensonge. Je le reprends sévèrement, puis, un quart d’heure plus tard, je vais m’excuser. Avant que je ne parle, il me dit : « Je vous cherchais… Merci de m’avoir dit tout cela. Vous m’aimez plus que mon père qui ne m’a jamais grondé. Merci, merci, merci ! »
Je n’oublierai jamais cette scène, comme tant d’autres semblables. Être exigeant et vrai, viser le bien de ses enfants ou subordonnés est essentiel. Il ne s’agit pas d’être cassant, mais parfois la fermeté est nécessaire. Nous restons imparfaits ; ce qui fait la différence, c’est l’humilité du chef ou du père, capable de demander pardon et de se remettre en question, tout en demeurant exigeant, vrai et engagé.
Trop de jeunes n’ont jamais reçu un vrai “non” structurant. Trop de garçons n’ont jamais vu leur père se lever tôt, servir plus que lui-même, poser un cadre juste. L’absence de confrontation pacifiée à un cadre masculin produit une génération hypersensible, réactive, perdue dans l’arbitraire.
La pédagogie par la mission : la clé éducative
La pédagogie par la mission change radicalement le rapport des jeunes à l’apprentissage. Là où une tâche reste souvent perçue comme une exécution sans perspective, une mission engage la personne dans une finalité qui la dépasse. Elle mobilise discernement, effort, responsabilité et donne du sens immédiat au travail. L’expérience montre que les jeunes répondent d’autant plus présents que cette mission est claire, encadrée dans le temps et l’espace, et accompagnée par un adulte cohérent. C’est tout l’enjeu du mot « éducation », du latin
À la ferme de Mouazé (Ille-et-Vilaine) où l’association Irvin accueille les jeunes, il ne s’agit pas seulement de désherber une parcelle, mais de préparer une récolte destinée à un marché local. Les jeunes comprennent que leur travail nourrit concrètement des familles, et cela transforme leur rapport à l’effort. Dans les chantiers pédagogiques, confier à un jeune la planification d’une plantation – vérifier le matériel, répartir les rôles, tenir les délais – en fait un acteur de l’organisation, pas un simple exécutant. De même, dans l’approche entrepreneuriale, il ne s’agit pas de “rédiger un CV”, mais de transformer une idée en projet réel, testé et ajusté sur le terrain.
Ces mises en situation montrent que les jeunes ne cherchent pas à être ménagés mais à être élevés. Ils veulent qu’on leur confie une mission qui compte, qu’on leur fixe des exigences claires et qu’on leur donne les moyens de réussir. Lorsqu’ils voient que leur action produit un résultat tangible, qu’il s’agisse d’une récolte livrée, d’un chantier mené à terme ou d’un projet porté de bout en bout, leur confiance grandit et leur engagement devient durable.
La mission replace ainsi l’éducation dans une logique de dépassement : elle oblige chacun à sortir de la passivité, elle relie l’effort au bien commun et elle réinscrit l’apprentissage dans la vie réelle. Elle n’a pas seulement pour but d’occuper, mais de conduire vers quelque chose de plus grand que soi. C’est tout l’enjeu du mot « éducation », du latin educere, « conduire vers » : conduire le jeune à se dépasser, à s’ordonner à une œuvre qui l’élève, et à découvrir dans cette dynamique sa vocation profonde. Il s’agit pour un homme chrétien de « conduire vers » la finalité de la sainteté.
Sept leviers simples, aux effets profonds
Les résultats ne demandent ni des moyens démesurés, ni des dispositifs complexes. Quelques leviers simples suffisent :
1/ Poser un cadre avec des horaires fixes et des engagements clairs permet une stabilisation rapide.
2/ Reconnecter au travail manuel redonne du sens à l’effort.
3/ Vivre en collectif non choisi apprend la coopération et la confrontation pacifiée.
4/ Intégrer un effort physique quotidien restaure l’élan vital et la volonté.
5/ Incarner l’exemplarité lorsque ces jeunes nous sont confiés, car le modèle visible vaut plus que toutes les injonctions.
5/ Assigner des responsabilités progressives renforce le sentiment d’utilité.
6/ Entretenir un lien simple et direct avec le monde professionnel, via des ateliers pratiques, des stages courts ou des rencontres métiers, donne une perspective concrète à l’effort fourni.
Ces leviers ne distraient pas les jeunes, ils les remettent debout. Ils ne cherchent pas à plaire, mais à reconstruire. Ils ne sont pas théoriques, ils sont immédiatement efficaces.
Quand ces leviers sont actionnés, les jeunes ne fuient pas : ils se redressent. Pas besoin d’un miracle pédagogique. Juste d’adultes présents, exigeants, et cohérents. Et de pères qui osent prendre leur place, non pour dominer, mais pour guider.
La jeunesse répondra « présente ! »
Il n’y a pas de génération ingérable, seulement une jeunesse privée des outils nécessaires pour se construire. Quand on leur redonne un cadre exigeant, un objectif à atteindre et un collectif dans lequel évoluer, les jeunes redeviennent eux-mêmes : capables, fiables, engagés. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle théorie sur la jeunesse, mais d’une pratique éducative exigeante, concrète et humaine. La mission est claire : redonner à cette génération les repères qu’elle attend. Là où il y a du cadre et du sens, les jeunes répondent toujours présents.
Jacques Bert
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