Une tribune de Benoît de Sinety, parue dans La Croix en avril 2025, rapporte que ceux qui frappent aujourd’hui à la porte de l’Église ne lui ressemblent pas toujours. Selon des estimations crédibles, près de 80 % des néophytes décrochent dans les cinq années qui suivent. Aujourd’hui encore, quand « l’eunuque éthiopien » frappe à la porte de l’Église (Ac 8, 26-39), il ne renonce pas à sa singularité. Quelle place l’Église réserve à ces néophytes et « recommençants », ces chrétiens qui, après un éloignement, souhaitent revenir ?
Une langue devenue étrangère ?
Tentons une expérience simple : demandons à quelqu’un de notre entourage, sans culture religieuse particulière ou d’une autre confession chrétienne de nous expliquer quelques termes religieux. Que comprend-il de l’eucharistie ? De la différence entre catéchèse et catéchisme ? Ou encore des notions recouvertes par les termes de catéchuménat, scrutin, néophyte, sacrement, mystagogie ? Et que dire de mots comme aumônerie par exemple que certains jeunes associent spontanément à la mendicité, ou paroisse, dont le sens n’est plus évident ?
L’usage actuel et massif du mot louange par exemple, témoigne, quant à lui, d’un basculement pastoral plus large, porté notamment par le Renouveau charismatique. Plus qu’un simple style spirituel, ce courant a contribué à reconfigurer en profondeur la grammaire ecclésiale et tend à instaurer une norme implicite de ce que serait une foi vivante. Cette homogénéisation des pratiques et du langage peut conduire à une mise à l’écart de sensibilités plus classiques, discrètes, intellectuelles ou contemplatives. Les fidèles traditionalistes, par exemple, nourrissent sans doute d’autres attentes. D’autres sensibilités aussi : par exemple celles qui revendiquent une foi chrétienne mais qui sont issues de traditions spirituelles non occidentales (courants de pensée asiatiques, sagesses orientales). Ou encore celles qui sont ancrées dans la rationalité scientifique contemporaine (épistémologie des sciences, philosophie du langage). Tous ces « courants spirituels » peuvent se retrouver sur le bord du chemin.
Sommes-nous enfin conscients de la possible opacité structurelle de notre langage religieux ? De la complexité de notre lexique confessionnel ? Du manque de portée existentielle de certaines formulations dogmatiques, constat lucide et toujours d’actualité déjà formulé par le théologien jésuite Karl Rahner ?
Trois pistes pour ne plus perdre les néophytes
La formule bien connue du concile Vatican II (Lumen Gentium, §11) affirme que « l’Eucharistie est la source et le sommet de toute la vie chrétienne ». Si cette affirmation est au cœur de la foi catholique, elle mérite d’être interrogée concrètement : peut-on faire de la messe et de l’écosystème paroissial un véritable lieu d’évangélisation ?Si oui, cela suppose de repenser plusieurs dimensions, trop souvent négligées.
– Sur le plan esthétique : la beauté est évangélisatrice
Le chant est un art et comme tout art, il mérite exigence et attention. Chanter ensemble fait partie de la beauté de la liturgie et chacun doit pouvoir y trouver sa place sans exclusion. Mais cela n’empêche pas de reconnaître que tenir un chant en solo ou conduire une assemblée ne s’improvise pas. À l’heure où les standards musicaux du grand public ont été façonnés par les médias et les plateformes, proposer un chant mal maîtrisé peut détourner plutôt qu’attirer. Il ne s’agit pas d’écarter, mais de discerner, former et accompagner. La participation de tous n’est pas incompatible avec des moments où l’expérience esthétique est recherchée. Car la beauté, bien interprétée, peut toucher les cœurs bien au-delà des mots ; elle évangélise.
– Sur le plan pédagogique : ouvrir la parole en la faisant circuler davantage
On pourrait imaginer, à un rythme défini (par mois ou par temps liturgique par exemple), un temps de parole partagé, autour de la lectio divina par exemple ou en organisant plus régulièrement de courts partages sur des thèmes en petits groupes suivis d’un mot conclusif. On pourrait aussi repenser, ponctuellement, l’homélie non plus comme un monologue clérical mais comme un moment communautaire et d’approfondissement des réalités existentielles. Ce serait une manière simple et forte de donner corps à une Église synodale, domestique et institutionnelle à la fois.
– Sur le plan ecclésial : être reliés en se rassemblant autrement
Il est bon de se rappeler que le mot « Église » vient du grec ekklésia, composé à partir du verbe kaléô : « appeler, convoquer, rassembler ». Mais comment se rassembler autrement aujourd’hui ? Les traditionnelles kermesses ou repas paroissiaux suffisent-ils encore à susciter l’élan ? De nombreuses initiatives existent déjà et il faut saluer leur fécondité. Mais beaucoup restent marquées par une approche centrée sur la formationou l’enseignement, parfois trop conceptuelle pour rejoindre ceux qui cherchent avant tout une expérience relationnelle, conviviale. Des événements aux formats connus et accessibles à tous, sans doute déjà existants, pourraient être proposés en lien avec la population locale sans éclipser la quête de sens :
- Scènes ouvertes musicales dans le but pour chacun d’exprimer sa créativité artistique dans un climat d’écoute.
- Soirées incroyables talents sans compétition qui peuvent générer des échanges sur la diversité des dons, sans logique de performance.
- Bals populaires intergénérationnels portés par la communauté locale avec cette volonté de vivre une communion festive et rassembler toutes les générations.
- Ateliers de discussions et créatifs (philosophie, théologie, écriture, activités manuelles, musicales, numériques, etc.) en vue de faire circuler la parole, partager et valoriser les talents.
- Conférences participatives ou ciné-débats pour réfléchir ensemble et nourrir l’intelligence collective.
- Promenades méditatives afin d’ouvrir un espace de silence et d’intériorité dans un format dynamique.
Nous pouvons enfin nous demander : qu’est-ce qui, dans notre expérience ecclésiale, serait tellement enthousiasmant que cela nous donnerait envie d’en parler à nos amis ou voisins extérieurs à la vie de l’Église ? Ainsi, en travaillant sur ces trois pistes à la fois, l’Église pourrait davantage interpeller ces chrétiens anonymes des périphéries qui expérimentent sans doute déjà l’Évangile. Même s’il faut garder à l’esprit que c’est d’abord le témoignage de vie personnel qui offre à la communauté la possibilité d’une pastorale élargie. Évangéliser ce n’est pas imposer un programme, c’est réveiller en chacun le désir d’éclore.
Yvan Iorio
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